Le politologue Gaël Brustier livre dans un court essai une analyse vive et informée d’un mouvement sans leader, aussi soudain que déjà à bout de souffle.
Dès les premiers soubresauts de Nuit debout sur la place de la République, le politologue Gaël Brustier a décidé de s’y plonger, de rencontrer les participants, de questionner les militants, d’assister des soirées entières aux assemblées générales. A peine vingt jours après le début du mouvement, il mettait ainsi un point final à son manuscrit. Un exercice périlleux, tant le temps de l’analyse n’est pas forcément celui du temps médiatique. Mais, plutôt qu’une ethnographie, cet essai est d’abord une invitation à rendre intelligible un mouvement au-delà des étiquettes et des débats binaires. Plutôt qu’un jugement forcément réactionnel, Brustier invite à penser avec Nuit debout : « Avant-gardisme révolutionnaire ou révolte populiste ? […] Réveil de la France ou zadisation de la capitale ? Grand Soir ou tragi-comédie ? » s’amuse à questionner le politologue. « Les réponses ne peuvent ni être définitives, ni, a fortiori, être déduites des grilles passées », prévient-il.
L’intérêt de ce petit ouvrage est donc surtout d’utiliser Nuit debout comme un précipité, « un détonateur », révélant les malaises de la gauche française. Un miroir tendu à une histoire de gauche contrariée en ces temps de globalisation financière. Sans faux-semblants. « La social-démocratie et la gauche radicale sont épuisées à la fois intellectuellement, stratégiquement et politiquement », constate justement Brustier. Nuit debout serait ainsi le symptôme de ce « tête-à-queue » idéologique. D’où la gêne et l’agacement perceptibles parmi les socialistes (notamment parisiens) qui ont bien trop peur de constater qu’« une autre alternance que celle des cycles électoraux est non seulement possible mais encore probable ». Peur pour les uns, espoir pour les autres. Peut-être parce que, comme le souligne le politologue, « le mouvement ne fait pas que contester la politique en vigueur, mais aussi l’autorité du pouvoir en place et le défie dans ses prérogatives régaliennes ».
Mais Brustier ne s’arrête pas à ce face-à-face, il sonde également les contradictions et les fragmentations (notamment sociales) du mouvement expérience qui « ne se résume pas non plus à la gauche radicale », son organisation autogérée aussi. Il replace Nuit debout dans la continuité de l’Histoire immédiate, celle de 2015, avec Syriza en Grèce, Bernie Sanders aux Etats-Unis, ou Jeremy Corbyn au Royaume-Uni… « L’antiaustérité fait recette. L’évidence néolibérale n’en est plus une », pointe Brustier. Justement, loin d’être l’expression d’une simple fronde contre un pouvoir affaibli, le fil de Nuit debout serait en fait « celui qui relie la campagne victorieuse pour le non au référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, en 2005, et la violente confrontation en 2015 entre les gauches radicales européennes et les institutions de l’Union ». Une question centrale au sein de cette « génération Erasmus » pour laquelle « « l’Europe » est à la fois une évidence concrète et une lourde désillusion ».
La « collectivité » Nuit debout, cette « vaste école d’apprentissage », qui promeut « une culture de l’horizontalité », ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur son rapport au pouvoir. Il est en tout cas trop tôt pour savoir si de Nuit debout naîtra un Podemos à la française, ou si ce mouvement s’enfermera dans une « tentation zapatiste » qui serait de « résister au quotidien sans pour autant être au pouvoir ». Et Brustier de citer le philosophe Slavoj Zizek, qui avait alerté dès 2011 le mouvement Occupy Wall Street : « Ne tombez pas amoureux de vous-mêmes. […] Ce qui compte, c’est le jour d’après. »
#Nuit debout. Que penser ?, de Gaël Brustier, Cerf, 110 p., 9 €.
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