Shazia Mirza : "On peut rire de tout, y compris de Daech"

Femme d’origine pakistanaise, de nationalité britannique, elle dénonce tous les clichés. Dans son dernier spectacle, inspiré par la récente fuite de trois adolescentes en Syrie, Shazia Mirza n’hésite pas à égratigner les cultures et bousculer les codes. Portrait.

«Ne vous méprenez pas, ces filles ne sont pas religieuses, elles sont en chaleur ! Et elles sont allées en Syrie pour des bites halal», balance, l’œil pétillant de malice mais le visage impassible, l’humoriste d’origine pakistanaise Shazia Mirza. La salle éclate de rire.

Bienvenue dans le monde pareil à nul autre de Shazia Mirza, née voilà trente-six ans à Birmingham. En tournée depuis le mois de février, seule sur une scène dépouillée de tout décor, micro à la main, elle fait un tabac avec un nouveau spectacle inspiré par une affaire qui a fait grand bruit outre-Manche : le départ en Syrie, pour rejoindre Daech, en février 2015, de trois collégiennes d’origine pakistanaise de l’est de Londres, âgées de 15 et 16 ans. Scolarisées à Bethnal Green Academy, que l’humoriste surnomme «Bethnal Green Jihademy». Shamima Begum, Kadiza Sultana et Amira Abase ont financé leur voyage vers Raqqa via Istanbul en vendant des bijoux. Dans ce spectacle, qu’elle considère comme son texte le plus abouti à ce jour, Shazia Mirza se moque des trois ados, qui, selon elle, ignoraient tout de Daech et n’agissaient pas par motivation religieuse. Une des filles avait d’ailleurs laissé une liste de choses à emporter contenant, entre autres, une machine à épiler, un paquet de culottes et une lotion pour le corps ! «Vous allez rejoindre une organisation terroriste barbare et vous pensez à votre maillot ? Je pense que ces filles n’avaient pas la moindre idée de l’endroit où elles allaient et d’où elles ne pourront plus partir.»

Le spectacle, à l’origine intitulé The Road To Al-Baghdadi («La route vers Al-Baghdadi»), a dû être débaptisé à la demande du théâtre londonien Tricycle, terrorisé à l’idée que l’Etat islamique se sente offensé… Shazia a dû s’exécuter. Un tantinet énigmatique, son nouveau titre, The Kardashians Made Me Do It («Les Kardashian m’ont forcée à le faire»), fait référence au commentaire de la sœur d’une des trois ados, nous a expliqué Shazia Mirza : «Elle disait que sa sœur regardait tout le temps les Kardashian !»

Shazia est loin d’être une inconnue outre-Manche. Voilà près de quinze ans, elle avait fait une entrée fracassante sur la scène britannique avec un gag devenu légendaire, livré quelques semaines à peine après les attentats du 11 septembre : «Mon nom est Shazia Mirza. Du moins, c’est ce qui est écrit sur ma licence de pilote…» Avant d’enchaîner, d’une voix traînante : «Vous vous demandez comment me distinguer d’un terroriste musulman ? Eh bien, ils ont une plus grosse moustache que moi !» Puis de moquer «Oussama bin Liner [« Sac-poubelle »], que certains musulmans croient doté du pouvoir de se rendre invisible.»

« Vous vous demandez comment me distinguer d’un terroriste musulman ? Eh bien, ils ont une plus grosse moustache que moi ! »

A l’époque coiffée d’une duppata (une sorte de large foulard), attribut qu’elle a depuis abandonné pour une coiffure à la Farrah Fawcett, cette musulmane modérée égratigne équitablement les cultures anglaise et indo-pakistanaise, mais ne s’estime pas pour autant armée pour le rôle de porte-parole de la communauté musulmane britannique. «Personne ne savait ce que c’était que d’être une femme musulmane ici. Cela n’a rien à voir avec l’Afghanistan. Je parle de ma vie et je fais rire les gens avec.» Un thème inépuisable qu’elle remet sans cesse au goût du jour, avec des gags qu’elle livre toujours d’un ton pince-sans-rire, tels que : «Ma mère porte une burqa pour ne pas être vue avec mon père !»

Shazia Mirza s’insurge quand on lui demande si elle n’a jamais cédé à la censure ou à l’autocensure. «Je ne m’interdis rien. On peut rire de tout, y compris de Daech, rétorque-t-elle. Les vrais comédiens font de l’humour sur tout : la guerre, la famine, l’Holocauste, l’IRA. Les grands artistes n’hésitent pas à s’attaquer à tous les grands sujets.» Mais «je ne plaisante pas sur l’islam. Mon spectacle va très en profondeur. J’ai un regard profond sur certains sujets. Je ne fais que dire la vérité. Et je n’ai pas de réponse, qui se résumerait en une ligne. C’est très compliqué».

La comédienne se réjouit de la réaction «très positive» aux Kardashians de la part du public musulman, hommes et femmes. Qui la remercient de «dire les choses que personne d’autre ne dit», de «donner une voix à ce que nous ressentons», l’encourageant à «continuer son travail courageux». Un nombre sans précédent de musulmans viennent, du reste, voir ce show, se félicite-t-elle, souvent des familles au grand complet ou des parents avec leurs fils ou filles adolescents.

Multiculturelle

Née et éduquée à Birmingham, dans une famille très croyante et pratiquante, l’humoriste a dans un premier temps enseigné dans le quartier londonien de Tower Hamlets, où les trois ados étaient scolarisées. «Ces filles avaient 15 ou 16 ans, j’en ai 36. Ce n’est pas si différent. Dans les années 80, toutes les filles originaires d’Asie, quelle que fût leur religion, avaient des parents stricts. Je n’avais pas le droit de sortir, ni de voir de garçon, et encore moins d’avoir de relations sexuelles avant le mariage. Alors nous nous sommes rebellées, en allant dans des boîtes gays, et en nous droguant ! Mais nous n’avions ni téléphone mobile ni Internet, et nous ne parlions pas aux gens en ligne… C’était une époque beaucoup plus simple», conclut-elle le plus sérieusement du monde.

Entre communautarisme britannique et modèle laïque et républicain français, Shazia Mirza ne cache pas sa préférence. «Ici, nous n’avons pas d’extrême droite, comme en France. La Grande-Bretagne s’est construite sur l’immigration. A Birmingham, où je suis née et où j’ai grandi, j’avais des amies de toutes les origines. Je n’ai jamais fait l’objet d’aucune discrimination ni de racisme. J’adore mon pays, qui est multiculturel, hospitalier, très tolérant et ouvert, et qui attire les gens du monde entier», analyse-t-elle. Avant de conclure d’un ton plus léger : «Je suis britannique, et sans doute plus britannique que la plupart de mes concitoyens. J’ai rencontré trois fois la reine, deux fois David Cameron. J’adorais la princesse Diana et je ne parle pas aux gens dans le métro !»

 

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