Dans la tête des CRS, las "d'être de la chair à canon"

Etat d’urgence, manifestations, hooliganisme… Les CRS ont été très largement sollicités ces derniers mois. Entre la violence des casseurs et les hésitations de leur hiérarchie, ils dressent un bilan amer de leur quotidien. Témoignages dans « Marianne » en kiosques cette semaine.

Les CRS sont fatigués. D’avoir mauvaise presse. De tourner en rond à Calais ou à Nice, à Marseille ou à Paris, à Rennes ou à Nantes, d’une fan zone à l’autre, de faire face aux migrants, aux anars, aux fachos… Las aussi de ne pas se sentir soutenus. «D’être, nous dit James, 40 ans, brigadier, de la chair à canon Sur les routes entre Nice et Paris, il raconte sans fard, et anonymement, ce qu’il a vécu dans l’après-midi du match Russie-Angleterre, à Marseille. Avec sa section, il était prévu pour sécuriser la fan zone, sauf que c’est vers le Vieux-Port qu’ont convergé les supporteurs des deux camps, avec pas mal de locaux au milieu. Un endroit où ses collègues étaient trop peu nombreux, faute d’avoir anticipé ce rendez-vous dans le lieu symbolique de la ville.

Appelé en renfort avec ses collègues, il raconte la suite : «On en a pris plein la tête pendant une demi-heure, face à des Russes aussi bien organisés que nous, puis on a repris le contrôle des lieux, en évitant à tout prix l’incident…» «Incident», c’est un euphémisme. La consigne était clairement d’éviter la bavure. Dans ce contexte, des erreurs d’appréciation et de calcul ont été commises et le brigadier a une idée sur leur origine. «Ce sont de jeunes commissaires qui nous dirigent sur le terrain. Ils sont très instruits, dit-il, mais ils ne connaissent rien au maintien de l’ordre. Leur but, c’est qu’il y ait le moins choses à signaler.» Techniquement, la compagnie aurait pu utiliser le canon à eau, stationné à proximité, pour disperser les hooligans, mais «ils ont eu peur de l’image que ça donnerait». «Ils» ? Les différents échelons de la hiérarchie policière… «Le message, c’est « Tenez bon comme vous pouvez », sans grenades si possible. Au moindre dérapage, on sera lâché», poursuit le policier.

Réductions d’effectifs

Le ton est donné dans ce délicat debriefing de CRS, mobilisés jour et nuit, épuisés. Les chefs sont montrés du doigt à Marseille, mais également à Paris. Lors de la manifestation contre la loi Travail du 14 juin, ça a été pis, selon Jo, 37 ans, gardien de la paix. «Les canons à eau : comme à Marseille, ils ne veulent plus qu’on s’en serve. Le 14 juin, le capitaine qui l’avait réclamé pour désenclaver des collègues qui risquaient de se faire lyncher a attendu cinquante minutes qu’il arrive, conduit par une femme qui ne connaissait pas la route… Tout ça parce que la hiérarchie prend des patins…»

Jo fait à peu près la même lecture que son collègue de la gestion policière des événements. Celle d’un Etat soucieux d’éviter tout dérapage, avec un gouvernement de gauche encore traumatisé par la mort d’un jeune lors d’un rassemblement contre le barrage de Sivens, en octobre 2014. Pas de canon à eau, pas de lanceurs de 40, ni de LBD, ni de Flash-Ball, encore moins de Taser : déjà trop de blessés pour risquer d’enflammer davantage le mouvement. «Le problème, c’est que l’Etat ne veut pas afficher une police « policière », dit joliment notre témoin. Ce sont pourtant ces moyens qui nous permettraient d’éviter un contact physique avec les manifestants, mais aussi de stopper l’individu qui lance un projectile. C’est de la dissuasion. Et puis, s’ils viennent pour blesser du flic, ils doivent être prêts eux aussi à repartir blessés ! Le pouvoir redoute d’avoir à rendre des comptes à la famille d’un éventuel blessé, alors nous, en bas, on attend la casse au lieu de l’empêcher. Même les grenades lacrymogènes sont déconseillées parce qu’un manifestant atteint de difficultés respiratoires pourrait faire un malaise !»

(…)

 

>>> Retrouvez l’intégralité de ces témoignages dans le numéro de Marianne en kiosques.

Il est également disponible au format numérique sur notre liseuse ou via  et Marianne sur Google Play

 

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