Les Français favorables à la torture ? "Les questions posées sont perverses"

Selon un récent sondage, les Français se montreraient de plus en plus ouverts au recours à la torture ! Pour le professeur Michel Terestchenko, auteur d’un ouvrage sur le sujet, il faut s’en inquiéter mais aussi s’interroger sur la vraisemblance des scénarios soumis aux sondés…

La torture choquerait de moins en moins. C’est l’enseignement principal du sondage publié ce mardi 21 juin par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). Selon cette enquête d’opinion, 36% des Français sont favorables au recours à la torture « dans certains cas exceptionnels » et 54% des Français justifient l’envoi de décharges électriques sur un poseur de bombes. Des chiffres en augmentation de respectivement 11% et 20% par rapport à l’an 2000, avant l’émergence du terrorisme islamique incarné par Al-Qaida puis Daech. Selon le professeur de philosophie Michel Terestchenko, auteur en 2008 de l’ouvrage Du bon usage de la torture, ou comment les démocraties justifient l’injustifiable (éditions La Découverte), ces résultats traduisent la progression d’instincts vengeurs, favorisée en outre par les questions très orientées des sondages. Interview.

 

Marianne : 54% des Français sont désormais favorables à la torture électrique d’un poseur de bombes, contre 34% en 2000, faut-il s’en inquiéter ?

Michel Terestchenko : Les questions posées dans ce sondage sont perverses. Comme au café du commerce, on demande aux gens de se mettre dans la situation où il y aurait une bombe prête à exploser et un terroriste seul à même de livrer des informations pour empêcher le drame. Or, ce scénario ne correspond pas à une situation vraisemblable, sauf dans des séries américaines comme « 24 heures chrono« . En réalité, ce sondage met en évidence que 36% des Français justifient le recours à la torture. Et c’est déjà très inquiétant.

 

La plupart des personnes favorables à la torture invoquent un certain pragmatisme pour justifier leur position.

Les gens qui sont favorables à la torture ont la sensation de faire partie du camp des réalistes. Ils pensent que la torture est utile, efficace pour obtenir des aveux au moment propice. C’est un fantasme absolu. Il n’a jamais été démontré où que ce soit que la torture est efficace pour prévenir les actes de terrorisme. Les tuyaux qui ont permis de remonter la trace de Ben Laden n’ont pas été obtenus sous torture. A Guantanamo, la torture a été absolument inefficace, et c’est un rapport rédigé en 2014 par un Sénat américain à majorité républicaine qui l’explique.

 

En quoi le recours à la torture est-il injustifiable en toute circonstance ?

C’est le fondement même de notre démocratie de considérer qu’il y a des traitements dégradants, avilissants, qu’on ne peut pas infliger à autrui. Tous les textes juridiques internationaux interdisent d’ailleurs la torture. Renoncer à cette valeur-là, c’est affaiblir objectivement nos démocraties. On montre au monde que nos grands principes ne correspondent pas à nos actes. C’est d’ailleurs ce que nous reprochent les terroristes, quand ils expliquent que la France les attaque sur leur territoire.

 

Derrière ce regain d’indulgence pour la torture, n’y a-t-il pas une volonté de vengeance à l’égard de terroriste perçus comme inhumains ?

Accepter la torture, c’est évidemment tomber dans le piège du « œil pour œil, dent pour dent ». Aujourd’hui, les résultats du sondage le montrent, il y a un cycle de la vengeance et de la haine qui se met en place. Cette spirale est profondément contre-productive. Tout ce qui a été fait depuis les attentats du 11 septembre 2001 n’a pas empêché la propagation de l’islam radical, au contraire.

 

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