La cimenterie du groupe français Lafarge en Syrie a-t-elle accepté de faire des affaires avec des groupes armés comme Daech pour maintenir sa production jusqu’en 2014 ? C’est ce que détaille une grande enquête publiée par « le Monde » ce mardi 21 juin.
Le cimentier français Lafarge, numéro un mondial du ciment, a-t-il accepté, sur son site de Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, l’un des plus modernes et importants du Proche-Orient, de travailler avec des groupes armés, dont les terroristes de Etat islamique, pour maintenir sa production ? C’est ce qu’affirme le Monde, dans une grande enquête publiée ce mardi 21 juin.
« Des courriels envoyés par la direction de Lafarge en Syrie, publiés en partie par le site syrien proche de l’opposition Zaman Al-Wasl (…) révèlent les arrangements de Lafarge avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production jusqu’au 19 septembre 2014, date à laquelle l’EI s’empare du site et Lafarge annonce l’arrêt de toute activité », écrit en effet le quotidien.
De quels « arrangements » s’agit-il ? Selon le Monde, il a d’abord été question pour Lafarge d’obtenir des autorisations afin de pouvoir circuler librement sur les routes contrôlées par Daech. « Lafarge continuait d’alimenter le marché syrien du ciment et, pour cela, avait besoin d’acheminer sa production par les routes », explique de fait un ancien employé de Lafarge. Pour cela, la multinationale française a eu recours à un intermédiaire, un certain Ahmad Jaloudi, un Jordianien, employé comme « gestionnaire de risques ».
Chargé, entre autres, de négocier avec les responsables de Daech, l’intéressé a notamment détaillé dans un courriel daté du 28 août 2014 adressé au tout nouveau PDG de la filiale de Lafarge en Syrie, Frédéric Jolibois, ses « efforts » pour obtenir des « autorisations » de circulation pour le personnel. Mais les autorisations lui ont été refusées, l’Etat islamique ayant demandé « une liste des employés » du groupe au préalable.
Un courriel qui révèle surtout que « la direction de Lafarge à Paris était au courant de ces efforts » explique Le Monde. Car lorsque Frédéric Jolibois répond à Ahmad Jaloudi, l’intermédiaire, il met en copie Jean-Claude Veillard, directeur sûreté du groupe Lafarge à Paris. « Les points sur la sécurité avec Jean-Claude Veillard à Paris étaient quotidiens », précise un autre employé interrogé par Le Monde. « Ils se tenaient par conférence téléphonique à 11 heures », ajoute-il.
« Un laissez-passer estampillé du tampon de l’EI et visé par le directeur des finances de la « wilaya » [région] d’Alep, daté du 11 septembre 2014 » sera par ailleurs retrouvé par le Monde, permettant d’attester, conclut le quotidien, que des « accords passés » avec l’EI ont bel et bien été validés.
Autre arrangement de taille : pour fabriquer du ciment, raconte Le Monde, « des matières actives comme le gypse et la pouzzolane sont mélangées au clinker, résultat du chauffage de la matière crue à 1 450 degrés dans un four rotatif. » Un processus qui ne pouvait se faire sans carburant afin de « faire chauffer le précalcinateur et le four rotatif à de telles températures ». Un employé proche de la production déclare au Monde :
Lafarge n’avait pas d’autre choix que d’acheter du pétrole à l’EI, qui contrôlait alors toutes les sources de production à Rakka et à Deir ez-Zor.
« La situation en Syrie était très compliquée et évolutive en 2013-2014. Les personnes ayant travaillé sur place ne sont pas toutes joignables. Il nous est difficile de réagir à des courriels sans avoir tout vérifié, l’usine est fermée depuis septembre 2014 », s’est pour sa part défendue auprès du quotidien du soir la chargée de la communication du groupe Lafarge à Paris.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments