Brexit : derrière le bouc émissaire anglais, le problème allemand

C’est une vieille habitude française : faire des Anglais l’ennemi principal. Les voilà accusés des malheurs passés, présents et futurs de l’Union européenne. Or, aujourd’hui, les problèmes ne viennent pas d’Anglais restés en périphérie, mais d’Allemands installés au centre de la machine, défendant leurs intérêts bien dissimulés sous l’austère machiavélisme d’Angela Merkel.

C’est une vieille habitude française : faire des Anglais l’ennemi principal. Hier coupables du martyre de Jeanne d’Arc à la place de l’évêque Cauchon, les voilà accusés des malheurs passés, présents et futurs de l’Union européenne. La querelle du Brexit sert d’exutoire au malaise bruxellois. Et la Grande-Bretagne, de bouc émissaire collectif. Un festival contradictoire : «Restez !», «Bon débarras !» Et déraisonnable : qu’ils restent ou qu’ils partent, ils plombent toujours l’Europe.

Un acharnement hystérique parce que ce qu’on leur reproche vraiment reste inavouable. Donner une leçon de démocratie : chez eux le peuple souverain a son mot à dire, quand la droite et la gauche françaises ont bafoué le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel. Démentir ceux qui répétaient qu’il n’y avait pas de marche arrière ou de plan B : Bruxelles a renégocié. Ridiculiser Jean-Claude Juncker, qui excluait tout «choix démocratique contre les traités», et François Hollande, qui a trahi son engagement de réviser le pacte budgétaire. Surtout, il ne leur est pas pardonné de n’avoir jamais abdiqué leurs intérêts nationaux, refusant les pièges d’une Europe postnationale. D’abord, l’erreur de cette monnaie unique pour économies non harmonisées : hors zone euro, la City reste la première place financière de l’Europe ! Le même bon sens les a préservés des accords de Schengen, cette idée saugrenue d’instaurer la libre circulation interne avant de coordonner les politiques migratoires et d’ériger un contrôle aux frontières : ils payent les Français pour défendre la leur à Calais !

Les Britanniques s’en tiennent à ce qui fonctionne. Le marché unique. Ils veulent regagner de l’espace pour leurs lois. Mieux maîtriser les flux migratoires. Retrouver une souveraineté judiciaire en soumettant la créativité de la Cour européenne des droits de l’homme au veto de leur Parlement. Provocation symbolique, leur référendum n’est pas ouvert aux électeurs communautaires. Les Britanniques n’ont jamais cru à la «citoyenneté européenne». Pas plus que les Allemands, dont la Cour constitutionnelle estime qu’«il n’existe pas de peuple européen» et que la souveraineté réside dans les parlements nationaux. Mais c’est la lâche hypocrisie du Brexit bashing : se défouler sur l’épiphénomène de cette Grande-Bretagne qui défend ses intérêts nationaux en étant si peu européenne (et souhaitant l’être encore moins) pour se détourner du problème d’une Allemagne se servant de l’Europe pour défendre les siens.

Critiquer l’imperium de Berlin reste tabou.

Hier, «l’Europe européenne» du plan Fouchet, proposé par de Gaulle en 1962, n’a pas été torpillée par les Anglais, mais par les Allemands, sous la pression des Américains s’inquiétant d’un continent trop indépendant. Ce tournant majeur, tout comme le calamiteux marché – la fin du deutsche mark et l’euro pour tous contre la réunification allemande – proposé par Mitterrand et Delors, détermineront bien plus l’évolution européenne que l’arrivée des Britanniques avec leurs coquetteries et leur préférence pour le «grand large». Aujourd’hui, les problèmes ne viennent pas d’Anglais restés en périphérie, mais d’Allemands installés au centre de la machine, défendant leurs intérêts bien dissimulés sous l’austère machiavélisme d’Angela Merkel. A commencer par le pilotage de la zone euro, dont le bilan global est négatif (croissance moindre qu’ailleurs, taux de chômage des jeunes de 20 %), sauf pour Berlin. Favorisée par l’euro fort et régnant sur la main-d’œuvre sous-payée de son Hinterland de l’Est, l’Allemagne joue le rôle d’une petite Chine au détriment de l’Europe du Sud. Exportant plus de la moitié de sa production, elle amasse des excédents commerciaux (aujourd’hui critiqués par le FMI) thésaurisés en excès d’épargne pour rassurer un peuple qui ne fait plus d’enfants et s’inquiète pour ses retraites. Epargne stérile non réinvestie et placée hors Europe pour éviter la politique (européenne) de taux bas de la BCE…

Ce mélange de puissance et d’inquiétude conduit Berlin à s’imposer sous forme de diktats. Organisant l’étranglement de la Grèce tout en lui interdisant la sortie de l’euro. Appelant sans concertation aux migrations, puis, dans la panique, les refusant ; à chaque fois en violation des règles de Schengen. Négociant sans mandat une sous-traitance humiliante et risquée des frontières européennes à Erdogan. Perturbant l’investissement dans le marché de l’énergie en stoppant le nucléaire pour relancer le charbon subventionné. Déstabilisant la production porcine et laitière par le dumping social et l’élevage concentrationnaire. Prenant des initiatives diplomatiques nationales intéressées (Chine, Ukraine, Tafta), mais limitant sa participation aux efforts collectifs de défense au Moyen-Orient ou au Sahel. Cela fait beaucoup, mais critiquer l’imperium de Berlin reste tabou. Ceux qui s’y essayent (Chevènement, Montebourg, Mélenchon) se voient taxés de «germanophobie», alors que l’anglophobie n’est jamais invoquée… Un signe supplémentaire de la méconnaissance de la réalité outre-Rhin, où nombre de voix allemandes s’inquiètent du problème allemand de l’Europe, exprimé sans détour par Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères sous Schröder : «Angela Merkel ne doit pas apparaître comme la troisième personnalité allemande à avoir détruit l’Europe, après Guillaume II et Hitler.»

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