"Pour les djihadistes de Daech, homos et policiers sont des kouffars"

François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et membre du comité de pilotage du Livre blanc gouvernemental « La France face au terrorisme », revient pour « Marianne » sur les attentats qui ont visé cette semaine une boîte gay à Orlando, aux Etats-Unis, et deux policiers Français en poste dans les Yvelines.

Marianne : Dans quelle mesure y a-t-il un continuum entre les attentats perpétrés par l’Etat islamiqe sur le sol européen (notamment l’assassinat du couple de policiers dans les Yvelines) et l’attentat d’Orlando ?
François Heisbourg : Le continuum est idéologique et non territorial. L’islamisme radical propagé par l’Etat islamique ne connaît pas de frontières. La continuité réside dans la nature même de l’idéologie djihadiste, dans sa radicalité criminelle qui vise à l’élimination de ceux qu’elle nomme les « mécréants », les « kouffars ». Les homosexuels font partie de cette catégorie honnie par la vision islamiste du monde. Les policiers aussi, car ils sont les gardiens de l’esprit et de l’ordre républicains. Cette simultanéité témoigne du fait que l’idéologie de Daech prime sur la géopolitique. 

 

Peut-on dire, au vu du modus operandi choisi par Mateen, que l’EI abandonne la stratégie du groupe terroriste surentraîné et militarisé ?
En fait, pas vraiment ! Lors de précédentes attaques, comme celles de Mohamed Merah contre une école juive à Toulouse et contre des soldats à Toulouse puis Montauban, en 2012, c’était déjà un individu solitaire qui passait à l’acte.

 

Vous voulez dire qu’il s’agissait déjà d’imitateurs agissant de manière similaire à une action lue dans les médias ?
Oui ! On était en présence d’individus cherchant un point d’accroche à leur radicalité. Ce qui est premier – on le voit bien dans le cas de Mateen -, c’est la démarche de radicalisation. Et, juste avant de commettre ses crimes, l’individu en question, à l’instar de Mateen, se réclame d’une grande succursale terroriste (actuellement Daech, « référence » terroriste incontournable). De ce point de vue, le communiqué de l’agence Amaq qui a fait suite à la tuerie d’Orlando est significatif : ces meurtres sont bien davantage endossés que revendiqués par l’EI. Pour Daech, les homosexuels font partie de cette catégorie honnie par la vision islamiste du monde. Les policiers aussi.

 

Y a-t-il une spécificité américaine qui a agi comme un facilitateur ?
Oui, aux Etats-Unis, l’achat d’armement est d’une facilité consternante. On pourrait dire que n’importe qui peut se procurer n’importe quoi ! En Europe, c’est quand même un peu plus compliqué. Néanmoins, dans plusieurs pays du Vieux Continent, des attentats perpétrés par des individus solitaires se sont déroulés, depuis la célèbre tuerie contre le conseil municipal de Nanterre, en 2002.

 

Pourquoi cette efficacité de l’individu solitaire ? Est-ce un tournant ?
FPuisqu’il s’agit de mourir en martyr, il est bien plus simple et plus efficace de se passer du recours à un artificier, qui suppose le concours de plusieurs personnes. Pour un groupe criminel, fabriquer un explosif est un processus long et coûteux. Omar Mateen n’a eu qu’à se procurer une arme pour assassiner 49 personnes. Toutefois, il n’est pas certain qu’on puisse parler, comme le suggèrent certains, d’un changement durable de stratégie. Lors de ses prochaines opérations, Daech pourra tout à fait en revenir au schéma du groupe, qui a été celui des attentats de Paris en 2015. Le genre d’opération que constitue Orlando se reproduira, assurément, mais il y aura, aussi, des formes plus construites.

 

Pourquoi ?
Il faut bien voir que, plus l’enracinement de l’EI en Irak, en Syrie et en Libye est fragilisé par la riposte des démocraties, plus la tentation va croître, chez les stratèges de Daech, de porter la violence au sein de nos sociétés, afin de maintenir une dynamique attractive de vainqueur. Nous ne sommes pas, de ce point de vue, dans un contexte comparable à celui de l’après-2001.

 

Que voulez-vous dire, en l’occurrence ?
Que le sort de l’EI dans ses bastions territoriaux n’a pas la même importance, du point de vue du contre-terrorisme, que le renversement des talibans, «base arrière» d’Oussama ben Laden et d’Al-Qaida après la destruction des Twin Towers. Bien sûr, aujourd’hui, les chutes de Raqqa et de Mossoul, tenus par l’EI, seraient très bienvenues. Mais ces défaites probables de Daech ne mettront hélas pas fin pour autant à l’engrenage terroriste dans lequel le monde est engagé.

*François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et membre du comité de pilotage du Livre blanc gouvernemental « La France face au terrorisme » (2005), vient de signer Comment perdre la guerre contre le terrorisme (Stock).

 

 

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