En jugeant « irréaliste » d’observer une minute de silence dans le cadre de l’Euro en mémoire des 49 victimes de l’attentat homophobe perpétré dimanche 12 juin dans un club gay d’Orlando, l’UEFA a surpris. Et les réactions sont d’autant plus vives que la lutte contre l’homophobie reste taboue dans le milieu du football.
Elle a donc tenu parole. L’UEFA, la confédération européenne de football qui organise l’Euro de football cette année en France, n’a pas honoré dimanche ni lundi la mémoire des 49 victimes de l’attentat homophobe perpétré le 12 juin à Orlando, aux Etats-Unis. Il s’agit pourtant la plus grave attaque terroriste perpétrée sur le sol américain depuis le 11-Septembre. Expliquant à Marianne qu’il « serait tout simplement irréaliste de rendre hommage à toutes les victimes » de drames, l’institution a argué que dans les compétitions qu’elle organise, « des hommages sont rendus aux victimes d’événements tragiques qui sont soit liés au football directement, soit à l’une des équipes participantes ou au pays organisateur ». Pourtant, n’est-ce pas l’UEFA qui avait permis le respect d’une minute de silence lors des rencontres opposant la France aux Pays-Bas puis à la Russie à la fin du mois de mars, à la suite des attentats de Bruxelles ?
Au-delà de cette contradiction, l’instance du football continental est accusée de ne pas lutter suffisamment contre l’homophobie. Julien Pontes, le dernier représentant du club du Paris Football Gay, dissous l’an dernier, confie à Marianne que la décision de l’UEFA l’a « profondément choqué ». « Je ne comprends pas l’on puisse refuser d’accorder une minute de silence en mémoire de victimes d’un carnage homophobe, d’autant que l’UEFA sait à quel point l’homophobie est grande dans le foot », s’indigne-t-il. « Quand on me dit qu’il est ‘irréaliste’ de rendre hommage aux victimes, j’ai envie d’en savoir plus », poursuit-il, avant de dénoncer l’hypocrisie de la confédération européenne de football : « On signe des chartes pour dénoncer les discriminations, dont l’homophobie, mais quand il s’agit d’agir, rien n’est fait… ».
Même l’UEFA l’admet : l’homophobie est « la plus taboue » des discriminations dans le football. L’émission Enquête de foot diffusée sur Canal + le 30 avril 2015 s’était interrogée dans un reportage intitulé « Homos, le dernier tabou ? » sur cette homophobie qui gangrène le sport le plus populaire de France. Et ses conclusions étaient implacables : l’homosexualité existe évidemment dans le football français, mais n’y est jamais abordée. Certains joueurs admettent d’ailleurs – sous le couvert de l’anonymat – souffrir quotidiennement de cette situation.
« Seuls les Ultras girondins dénoncent l’homophobie »L’homosexualité est un sujet tout aussi délicat dans les tribunes que sur les pelouses. Aux traditionnelles promesses de sodomie de l’arbitre – ou de joueurs – proférées par des supporters, s’ajoute le silence des mouvements « ultras » sur la lutte contre l’homophobie. Parmi ces associations de supporters « structurées, hiérarchisées et disposant d’un code de valeurs », seuls les « Ultrasmarines » des Girondins de Bordeaux « ont exprimé publiquement leur combat contre l’homophobie », explique à Marianne Franck Berteau, auteur d’un Dictionnaire des supporters*.
De leur côté, les instances dirigeantes du football ne se démènent pas pour sensibiliser les supporters à la lutte contre l’homophobie. « Les campagnes menées par l’UEFA pour dénoncer les discriminations sont essentiellement concentrées sur la lutte contre le racisme », indique Franck Berteau. Il suffit de se rendre sur le moteur de recherche du site de l’UEFA pour s’en rendre compte : le terme « racisme » se retrouve dans 475 résultats, contre seulement 32 pour l’« homophobie ».
En refusant de permettre la tenue d’une minute de silence en hommage aux 49 victimes de l’attentat homophobe d’Orlando, revendiqué par Daech, l’UEFA a donné une nouvelle dois l’impression de mettre le sujet sous le tapis. « Il n’est vraiment pas difficile de faire des minutes de silence », relève pour Marianne Nicolas Camus, journaliste sportif à 20 Minutes, habitué à couvrir les rencontres. Ainsi, rien que ces derniers mois, l’UEFA a cumulé les hommages : décès du footballeur Yohan Cruijff, attentats de Paris, de Bruxelles…
Si ces minutes de silence sont « globalement respectées », indique Nicolas Camus, il arrive que certains hommages soient perturbés par des spectateurs. Lors du match de qualification pour l’Euro 2016, opposant la Turquie à la Grèce, les supporters turcs ont ainsi copieusement sifflé la minute de silence destinée à honorer la mémoire des victimes des attentats du 13 novembre. Des « Allah Akbar » sont même descendus des travées. Une scène à peu près similaire fut observée lors du match opposant l’Irlande à la Bosnie : des supporters bosniens ont crié, tout le long de la minute de silence elle aussi consacrée aux victimes des attaques parisiennes, le nom de pays en guerre et victimes d’attentats.
En France aussi, les sifflets sont monnaie courante lors de ces hommages. Des attitudes qui sont « plutôt le fait d’individus isolés, potentiellement éméchés, qui vont profiter du silence » pour faire passer leur message et ainsi gâcher l’hommage, explique Franck Berteau. A tel point que les minutes de silence sont souvent écourtées à quelques dizaines de secondes par les officiels, voire qu‘elles sont remplacées par des salves d’applaudissements pour masquer les sifflets.
Ce dimanche, pourtant, le respect d’une minute de silence en mémoire des victimes de l’attentat d’Orlando ne paraissait pas particulièrement sensible à organiser avant le coup d’envoi du match opposant l’Allemagne à l’Ukraine. Les supporters des deux équipes ne sont en effet pas réputés pour leur virulence, ce que confirme Franck Berteau : « J’ai tendance à penser que sur ce match, avec des supporters sans intention collective particulière, l’hommage aurait été respecté ». Alors, l’UEFA a-t-elle pêché par excès de prudence ? Quoi qu’il en soit, souligne Julien Pontes, « il est encore temps pour elle de se rattraper et de consacrer ne serait-ce qu’une seule minute à la dénonciation du crime et de l’homophobie ».
* Le dictionnaire des supporters, côté tribunes, Franck Berteau, Editions Stock
Retrouvez Marianne sur notre appli et sur les réseaux sociaux, |
||
|
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments