Touché par le massacre homophobe perpétré ce week-end à Orlando, en Floride, un jeune Français témoigne de ses sentiments face à la tuerie mais aussi face aux réactions que celle-ci a suscitées chez nous. Chez nous tous.
Je le confesse, quand les réseaux sociaux ont commencé à être inondés de l’annonce de cette mise à mort de masse dimanche, je n’ai pas réagi. J’ai twitté un gif débile, un message léger sans lien avec ces événements, comme je le fais souvent.
Parce que voyez-vous, et c’est ça qui est glaçant au fond, je me suis habitué à l’idée de la mort. Sans me l’avouer, je me suis résigné à ce que la haine de Daech et consorts fasse de nouveaux ravages parmi toutes les communautés qui représentent les enjeux fondamentaux de société qu’ils cherchent à détruire. La minorité LGBT a toujours figuré en bonne place de cette liste macabre. Et si je suis vraiment honnête, je sais que le bain de sang d’Orlando ne sera pas le dernier.
En revanche, ce qui est en train de changer, c’est ma résignation face à des vérités qui nous concernent directement, nous les sociétés victimes de ces terroristes. Nous les porte-étendards des valeurs démocratiques, nous plus forts que la haine et l’ignorance crasse, nous les photos de profil et les hashtag « Je Suis Charlie ». Pourquoi avons-nous été des millions de Charlie en janvier 2015? Pour donner un sens au sang versé, et pour rappeler que la liberté d’expression est un combat, mené avec des armes pacifiques, mais un combat néanmoins.
Le devoir de dire aussi pourquoi
Alors le 13 juin 2016, devant les vies à nouveau si absurdement sacrifiées, pourquoi la communauté LGBT serait-elle privée du sens donné à son drame ? Pourquoi tolérer sans broncher que tant de media couvrent avec force détail le déroulement de la tragédie, les hectolitres d’hémoglobine, jusqu’aux SMS de défunts envoyés à leurs proches au seuil de la mort… sans évoquer un seul instant le pourquoi de l’horreur. Oui, un immondice humain a fusillé sans merci une cinquantaine de personnes, et cela doit alimenter le débat éreintant sur la législation du port d’armes aux USA, sur la lutte antiterroriste etc. Mais nous avons le devoir de dire aussi pourquoi l’immondice humain a fait ce qu’il a fait.
Nous avons le devoir de rappeler que la liberté d’aimer est un combat, dont les racines sont aussi douloureuses et sanglantes que celles de la liberté d’expression et de beaucoup d’autres valeurs fondamentales aujourd’hui chéries de tous nos compatriotes. Des femmes et des hommes meurent encore tous les jours pour cette lutte: poussés du haut d’un immeuble, battus à mort au fond d’une ruelle, fauchés par balle au cœur d’une nuit festive.
Nous, c’est moi. Je prends donc conscience, et je me force à écrire que si des personnes sont massacrées à cause de leur orientation sexuelle ou amoureuse, il est de ma responsabilité que l’on n’oublie pas pourquoi elles sont mortes. Il est tout aussi important que je contribue, d’une manière ou d’une autre, à faire progresser les droits de ma communauté, que je manifeste, que je débatte, que je gueule aussi parfois. Moi, mon problème, c’est l’implication.
Leur problème, c’est l’invisibilisation et la récupération
Nous, c’est aussi « eux ». Les politiques, les journalistes, les célébrités de tous bords, sont prompts à s’emparer de l’actualité mais, soumis à la loi d’airain des 140 caractères Twitter, nous en relaient un récit au mieux tronqué de son sens, au pire asservi à leurs ambitions personnelles. Certains cas seraient même des modèles de grotesque s’ils ne me donnaient pas autant la nausée: ce tweet faussement éploré de la Manif Pour Tous, ceux, abjects, des pantins armés de l’extrémisme à la française ou à l’américaine. Et même jusqu’aux messages de notre cher président, qui oublie d’abord de mentionner la nature homophobe du crime puis s’empêtre dans des formulations inacceptables pour le héraut du mariage pour tous. Eux, leur problème, c’est donc l’invisibilisation et la récupération.
Nous, enfin, c’est vous. Ma famille, mes amis, les gens que je connais un peu et les millions que je ne connais pas du tout. Alors là je suis embêté, parce que je n’ai ni le charisme des harangueurs de foules, ni les réseaux des lobbyistes professionnels. Mais ce que je trouve de plus en plus intolérable, c’est que vous vous réfugiiez derrière la vague impression que tout cela ne vous concerne pas. Que l’horreur vous marque, brièvement, par la seule force des chiffres et de la surenchère bouchère (du coup, le Bataclan vous a un peu vacciné de ce point de vue, à moins de 80 morts on ne tique plus vraiment) mais que vous renonciez à examiner en quoi la disparition de ces jeunes pédés black et latino en Floride vous regarde, vous aussi, que vous le vouliez ou non. Vous, votre problème, c’est l’indifférence.
Et demain, peut-être, l’indifférence poussera votre voisin du haut d’un immeuble, elle buttera votre amie au détour d’une ruelle sombre, elle viendra cribler de balles votre fils qui dansait en riant sous les stroboscopes. Alors vous, eux et moi, on se retrouvera pour pleurer, puis pour manifester, pour débattre, gueuler et jurer, mais un peu tard, que l’on ne nous y prendra plus.
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