Une campagne provoquante de l’association Médecins du Monde aurait dû normalement envahir les espaces publicitaires dans nos rues et nos métros ce lundi 13 juin. C’était sans compter sur l’avis – non contraignant – de l’Autorité professionnelle de régulations de la publicité, qui a conseillé aux diffuseurs de ne pas l’afficher au risque de se fâcher avec les grands laboratoires pharmaceutiques … Ceux-ci ont suivi l’avis au pied de la lettre.
« Une leucémie c’est en moyenne 20.000% de marge brute » ; « Une épidémie de grippe en décembre, c’est le bonus de fin d’année qui tombe » ; « Avec l’immobilier et le pétrole savez-vous quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie« . Des slogans provoc’ qui comparent la maladie à un terreau de rentabilité. L’ONG Médecins du Monde veut dénoncer par là le prix exorbitant de certains médicaments contre des maladies comme la leucémie ou l’hépatite C et la mainmise des laboratoires pharmaceutiques sur leur fixation.
Mais la prise de conscience citoyenne que l’ONG a voulu engendrer aura malheureusement moins d’envergure que prévue. Aucun diffuseur n’a en effet voulu prendre le risque de l’afficher afin de ne pas se fâcher avec un laboratoire pharmaceutique. C’est l’Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP) qui a émis ce conseil auprès de la société Médiatransports. Avis que Les Inrocks se sont procuré. L’avis de l’ARPP n’est en aucun cas contraignant.
Il a pourtant été suivi à la lettre par les diffuseurs. L’ARPP explique avant tout que diffuser cette campagne publicitaires choc constituerait un risque « de réactions négatives (…) de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique« , « en effet les entreprises ainsi mises en causes pourraient estimer qu’une telle campagne porte atteinte à leur image et leur cause un grave préjudice et décider d’agir en ce sens« . L’autorité ajoute que la référence à des maladies graves pourrait être perçue comme choquante par le public et que ces allégations chiffrées ne sont pas sourcées sur les affiches.
Malgré les nombreuses fois où Médecins du Monde et Médiatransports ont travaillé ensemble, ce dernier a répondu par la négative à la demande de l’ONG. Une réponse qui s’est généralisée. D’autres afficheurs ont en effet été sollicités tels que JC Decaux et Insert et ont à leur tour refusé de diffuser cette campagne, à la suite de l’avis de l’ARPP qui a circulé entre eux. Pour les labos pharmaceutiques, même plus besoin d’exercer un lobbying direct !
«C’est la première fois que Médecin du monde se fait censurer, a déclaré Olivier Maguet, responsable de la campagne « Le prix de la vie », au Figaro. Cela montre bien qu’on appuie là où ça fait mal. Néanmoins, tout ça est assez ironique, nulle part sur les affiches, nous ne citons de laboratoire ou de nom de médicament. Nous n’avons rien contre l’industrie pharmaceutique, nous avons besoin de leurs médicaments et nous respectons leur logique de profit. Ce ne sont pas eux que nous ciblons principalement, c’est l’Etat! Car il laisse faire».
Derrière ces affiches de campagne, c’est la fixation du prix des médicaments qui est visée par l’association. D’après Médecins du Monde, ils sont fixés en fonction de la capacité maximale des Etats à payer pour avoir accès au traitement. Ainsi, plus l’Etat est riche, plus le prix du médicament sera élevé.
Par exemple, le sofosbuvir, premier des antiviraux contre l’hépatite C, est un traitement « vendu à 41.000 euros par patient alors qu’il ne coûterait que 100 euros à produire, selon une étude du chercheur Andrew Hill« . Pour justifier ces coûts hallucinants, les laboratoires expliquent que la recherche coûte cher, le bénéfice thérapeutique est grand et que les coûts de production sont importants. Des affirmations fausses pour l’ONG qui juge que « les coûts de recherche et développement sont surestimés et les montants réels restent confidentiels et une grande partie est de toute façon financée par l’argent public à travers des bourses ou des crédits d’impôt de recherche.”
Pour François Sivignon, présidente de Médecins du Monde, « les autorités laissent les laboratoires dicter leurs prix et abandonnent leur mission, celle de protéger la santé des populations. Il est maintenant temps que Marisol Touraine agisse en ce sens : ce n’est pas au marché de faire la loi, c’est à l’Etat. »
Sans espace publicitaire, l’association s’est débrouillée et a diffusé ses 12 tracts, élaboré par l’agence DDB Paris, via l’affichage sauvage, sur le web et également dans les grands quotidiens nationaux. Une pétition a été lancée, adressée à la Ministre de la Santé, Marisol Touraine, pour faire baisser le prix des médicaments.
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