Accusé de vol d'ovocytes, l'accoucheur des grand-mères jeté en prison

Star de la procréation médicalement assistée, le Pr Antinori, soupçonné d’avoir prélevé des ovocytes sur une infirmière sans son autorisation, a été incarcéré à Rome. Les preuves semblent légères, mais la personnalité du professeur ne facilite guère sa défense.

Encadré par deux carabiniers comme un vulgaire voyou, Severino Antinori, le gourou de la fécondation assistée âgé de 71 ans, est entré par la porte principale dans la prison de Regina Coeli à Rome. Les policiers lui ont épargné la honte des menottes mais pas celle de l’identification. Quelle a été la réaction du gynécologue qui a permis à une femme ménopausée de 62 ans de donner naissance à un garçon en décembre 1993, une première dans l’histoire de la médecine, lorsqu’il a été dépouillé de ses effets personnels puis pris en photographie de profil ? Personne ne le sait, car ses avocats tentent de sauver la réputation de « l’accoucheur des grand-mères ». Enfin ce qu’il en reste.

« Il Professore », comme l’appellent respectueusement ses nombreux patients, a été interpellé par la police italienne vendredi 13 mai à l’aéroport de Rome. Soupçonné d’avoir enlevé et opéré une jeune infirmière espagnole sans son contentement pour lui voler huit ovocytes, Severino Antinori est d’abord assigné à résidence dans son appartement romain. Une disposition assortie d’une interdiction provisoire d’exercice de la médecine pendant un an. Le temps, selon les magistrats chargés du dossier, d’approfondir l’enquête.

« Au-delà des lois éthiques »Le coup est rude pour le praticien à la réputation sacrément sulfureuse. Avant de faire naître le petit Riccardo, en 1993, il a créé le premier « fils-frère » en prélevant l’ovule fécondé d’une mère pour inséminer sa fille. « D’un point de vue strictement technique, l’opération d’Antinori n’avait rien de révolutionnaire, mais il avait osé aller au-delà des codes déontologiques et des lois éthiques tels que nous les concevons », déclare à l’époque Giuseppe Del Barone, président de la Fédération italienne des ordres des médecins. En 1995, le gourou de la fécondation artificielle annonce avoir inséminé la compagne d’un prêtre stérile. « Cela va relancer le débat sur le mariage des prêtres », assène Severino Antinori, qui ne perd jamais l’occasion de dénoncer les « talibans antiscientifiques » de l’Eglise. Plus de dix ans plus tard, le gynécologue rebaptisé par une partie du monde médical « Dr Folamour » sème la panique dans le monde scientifique et politique en affirmant avoir cloné trois bébés. Mais il ne donne aucun détail quant à la nationalité des parents et aux pays où les interventions ont été pratiquées.

Aujourd’hui, ce spécialiste qui a travaillé dans les plus grands centres hospitaliers italiens spécialisés dans la reproduction humaine et qui porte le titre prestigieux de président de l’Association mondiale de médecine de reproduction (Warm) est un homme fini. « Il sera probablement lavé de tout soupçon, car l’histoire de l’infirmière espagnole ne tient pas debout, mais, sur le plan médical, il est flingué, cramé. Cette histoire est une très sale affaire », estime Gianfranco Catalano, hématologue et médecin cadre de l’hôpital San Eugenio, à Rome. Une très sale affaire, le mot est juste.

Un examen de routine

L’histoire commence lorsqu’une infirmière d’origine espagnole et maghrébine dépose une plainte auprès du tribunal de Milan. Selon son avocate, Me Roberta De Leo, la jeune femme, âgée de 24 ans, a rencontré le Pr Antinori début mars durant un court séjour en Italie. Le courant passe entre le vieux renard et la jeune femme qui parle plusieurs langues mais pas l’italien. Visiblement, ce n’est pas un handicap pour Severino Antinori qui lui propose un emploi dans sa clinique romaine. Un contrat à 1 700 € par mois avec une période d’essai de quatre semaines. Elle travaillera avec lui au centre de reproduction assistée Raprui, situé dans un quartier huppé de la capitale. Il a fondé cet établissement en 1987 avec sa femme et ses deux filles, Monica et Stella, également spécialisées dans les techniques de fécondation artificielle. Cette entreprise familiale prospère rapidement, avec une clientèle nombreuse et des tarifs élevés. Mettre au monde un enfant, cela n’a pas de prix.

La jeune infirmière devra aider le praticien pendant les prélèvements sur les donneuses et les inséminations. Mais, avant de commencer, elle doit passer une visite médicale. Un examen de routine déclare le praticien, le personnel de son établissement devant être en bonne santé. Naturellement, il examine lui-même la jeune femme. Durant cette visite, l’infirmière évoque un problème de kystes ovariens et des cycles extrêmement douloureux. « Le professeur lui a alors proposé un traitement à base d’injections pour bloquer les kystes, puis une éventuelle opération. En vérité, il s’agissait d’un traitement hormonal pour stimuler l’ovulation », affirme Me De Leo.

« On m’a traînée dans le bloc »Devant le juge d’instruction chargé d’examiner sa plainte, la jeune Espagnole déclare avoir subi un cycle d’injections pendant cinq jours vers la fin du mois de mars. Elle dit que le professeur a affirmé que le traitement n’avait pas fonctionné et qu’il devait l’opérer au plus vite sous anesthésie locale pour éviter l’explosion de son utérus. La date est choisie, ce sera le 5 avril. « Lorsque je suis arrivée ce matin-là, j’avais très peur. Je pleurais, je suppliais le professeur et deux infirmières de ne pas me toucher, de ne pas me faire de mal », raconte la jeune femme. La suite du récit est effrayante : « J’ai été immobilisée et plaquée contre le mur, puis on m’a traînée dans le bloc opératoire et on m’a anesthésiée. »

Lorsqu’elle se réveille, une assistante du Pr Antinori lui raconte les modalités de l’opération et lui conseille d’appeler la police. « Avant de m’endormir, ils m’ont pris mon téléphone portable, un iPhone 6, et j’ai dû appeler du standard de la clinique », affirme la jeune infirmière devant le magistrat. Elle dit avoir demandé aux policiers de l’accompagner à son hôtel où elle loge depuis trois semaines, car elle doit prendre ses affaires. « Quelques minutes plus tard, elle a eu un malaise et les policiers ont appelé une ambulance. Elle a été hospitalisée dans le centre antiviolence de la clinique Mangiagalli et a subi un contrôle médical », déclare Me De Leo. Toujours selon cette avocate, le rapport médical rédigé par les médecins de cet établissement fait état d’ecchymoses et confirme le prélèvement d’ovocytes. Mais une partie de cette version est démentie par la propriétaire de l’hôtel interviewée par la télévision italienne. « Je n’ai pas remarqué qu’elle avait des bleus. En revanche, j’avais vu en nettoyant sa chambre qu’elle prenait beaucoup de cachets. Quant à son portable, c’était un Samsung pas un iPhone. Il avait une couverture rouge et, le jour où elle a eu un malaise, elle avait ce téléphone en arrivant à l’hôtel et m’a demandé le mot de passe pour le WiFi », affirme l’hôtelière.

Soupçons de machination

« Cette histoire est bizarre. Je ne certifierais pas l’honnêteté du Pr Antinori, mais j’ai du mal à croire qu’il ait été si loin. C’est prendre un risque énorme. Il n’a pas besoin de forcer une femme pour lui prélever des ovocytes, il peut le faire en payant », estime pour sa part la Pr Jacqueline Mandelbaum, pionnière française de l’assistance médicale à la procréation. Si cette histoire est vraie, ajoute cette spécialiste des techniques de reproduction humaine, cela veut dire que tout le personnel de la clinique est impliqué. « Il est possible qu’il s’agisse d’une manipulation, beaucoup de gens, à commencer par le ministère de la Santé italien, veulent se débarrasser de lui. On peut être ou ne pas être d’accord avec lui, mais toute cette affaire me paraît curieuse », présume la Pr Mandelbaum. C’est aussi l’avis du juge d’instruction milanais qui a inscrit les noms de deux infirmières de la clinique du Pr Antinori dans la liste des personnes suspectées dans cette affaire, car elles étaient de service le 5 avril.

Pour sa part, le gourou de la fécondation assistée jure qu’il n’a commis aucun délit. Malgré les décisions du juge qui l’a placé aux arrêts domiciliaires en lui interdisant tout contact avec l’extérieur, Severino Antinori multiplie les interviews téléphoniques. Il déclare à un journaliste du quotidien milanais Il Corriere della Sera que la jeune femme a signé un document autorisant le prélèvement. Une version corroborée par l’une de ses collaboratrices. « Les thérapies pour stimuler l’ovulation sont longues, il faut du temps, cinq jours sont insuffisants. Toute cette histoire ne tient pas debout. Et puis le Pr Antinori n’a pas besoin de commettre un tel crime et de prendre de tels risques pour trouver des ovocytes. Il a beaucoup de patientes et de relations », affirme cette collaboratrice qui tient à garder l’anonymat.

Accusé de harcèlement par sa familleEnfermé dans son appartement, le gynécologue semble perdre l’esprit. Il se met à la fenêtre pour répondre aux questions de la télévision publique et crie que l’infirmière a ourdi un complot pour lui extorquer de l’argent. « Elle fait partie de l’Etat islamique, Daech, et comme je l’avais démasquée elle a voulu se venger », hurle le praticien en direct. Puis il annonce que, pour défendre son honneur et convaincre les magistrats qu’il est un honnête homme, il va entamer une grève de la faim. Tout cela indispose le juge d’instruction qui signe un mandat d’incarcération au prétexte que Severino Antinori a violé l’interdiction d’entrer en contact avec l’extérieur. Les carabiniers sonnent à la porte du gynécologue et l’embarquent direction Regina Coeli.

« S’il tente de se faire passer pour fou pour convaincre les juges de son innocence, la partie est perdue d’avance, car alors les magistrats peuvent imaginer qu’il a été capable d’anesthésier la jeune Espagnole pour lui voler des ovocytes sans son consentement », estime le Dr Gianfranco Catalano. La folie, une hypothèse que les juges pour le moment refusent d’envisager. Même si certains épisodes récents, qui ne plaident pas en faveur du gynécologue, laissent envisager de possibles dérapages. En septembre 2015, son épouse et ses filles accusent Severino Antinori de harcèlement. Le procureur de la République du tribunal de Rome ayant pris très au sérieux la plainte déposée par la famille, « il Professore » se voit signifier en avril une interdiction de séjour dans la Ville éternelle et sa région. Sa femme et ses filles ont engagé des gardes du corps à la suite des menaces qu’il aurait proférées.

« Cela n’a rien à voir avec l’histoire de la jeune Espagnole ni avec les relations professionnelles entre Antinori, sa femme et ses filles ou leur patrimoine. Ce ne sont que des disputes familiales », affirme Me Giovanni Lazzarin, qui défend Caterina Versaci, l’épouse du gynécologue, et ses filles. « Cela faisait longtemps que la famille ne travaillait plus ensemble et ne se voyait plus. Il ne faut pas faire un fromage de ses querelles. Le magistrat a exagéré et nous n’avons jamais réclamé cette mesure d’interdiction de séjour appliquée au professeur », ajoute Me Lazzarin. Le son de cloche du défenseur de Severino Antinori est différent. « Cela regarde le patrimoine d’Antinori… » lâche Me Tommasso Pietrocarlo au téléphone. Selon lui, une simple affaire de gros sous serait à l’origine du conflit. Il est vrai que le patrimoine accumulé par le gynécologue depuis la première tentative d’insémination dans les années 80 ressemble à une énorme pièce montée. « Une quantité invraisemblable d’argent est passée et passe entre ses mains. Ses annonces choquantes sur l’insémination et le clonage de trois bébés lui ont permis d’acquérir une grande visibilité dans le monde entier », constate Gianfranco Catalano.

Pour le sulfureux « Professore » qui dort en prison, l’avenir s’obscurcit. Avec les confessions de nombreuses jeunes femmes originaires des quatre coins du monde, les magistrats ont levé le voile sur le marché des ovocytes orchestré par Severino Antinori, une pratique illégale en Italie. L’affaire de la jeune Espagnole sera probablement classée par manque de preuve. Mais ce ne sera pas le cas pour ce deuxième volet, une occasion magnifique et, surtout, unique pour se débarrasser finalement d’un personnage aussi encombrant.

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