François Hollande songerait, pour 2017, à supprimer le poste de Premier ministre et instaurer un régime présidentiel. Très bien, mais pour quoi faire ? Comme l’écrivait George Pompidou dans son recueil de réflexions « le Noeud gordien », pour gouverner la France il faut avant tout se soumettre à « un examen de conscience politique » et défaire tous les noeuds noués dans sa tête. Une halte au cabinet de réflexion à laquelle le Président devrait sérieusement réfléchir.
Autrefois, quand il se trouvait dans une impasse, François Mitterrand sortait, tôt ou tard, de sa large manche, tel Saroumane le magicien, la question du vote des immigrés aux élections locales. Une proposition, au passage, défendue non sans raison par Marianne et que le candidat François Hollande reprend durant la campagne de 2012, en sachant pertinemment qu’il n’est pas en mesure de disposer d’une majorité parlementaire nécessaire pour la faire adopter. Cette énième trahison fait que l’hôte de l’Elysée est bien obligé de chercher, aujourd’hui, d’autres astuces pour se sortir de la nasse politique dans laquelle il s’est fourvoyé. Du coup, il met une nouvelle fois ses pas dans ceux de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy (décidément, c’est une manie), en ayant recours à la frénésie constitutionnelle. C’est ce qui s’est passé une première fois avec ce débat absurde autour de la déchéance de nationalité qui a bien occupé les éditorialistes amis du Château durant un bon trimestre.
Or, pour reprendre le distinguo du constitutionnaliste Didier Maus, la suggestion du chef de l’Etat relevait bien dans ce cas de « la même logique qui consiste à penser que la Constitution fait partie des instruments de la politique générale d’un gouvernement à un moment donné ». Plus trivialement, c’était céder à la tentation de transformer ce qui fonde notre République en une simple boîte à outils. Voilà qui est fâcheux.
Oh, le beau débat en perspective, de quoi s’empailler durant des mois, quel délice !Le chef de l’Etat songerait, en privé, à faire de la suppression du poste de Premier ministre l’un des enjeux de 2017. Cette information délivrée par Europe 1, mardi 7 juin, agite, une nouvelle fois, l’hypothétique réforme en profondeur de notre Constitution. Un mauvais esprit suggérerait que cette réflexion présidentielle est provoquée par le souci de se débarrasser de l’occupant actuel de Matignon, mais écartons cette facilité puisque François Hollande voit grand : il ne s’agirait ni plus ni moins de permettre au chef de l’Etat, seul face à une Assemblée nationale au pouvoir renforcé, d’avancer plus hardiment sur le chemin des réformes. C’est beau comme du Olivier Duhamel. Au passage, quand certains publicistes ou essayistes ont écrit qu’il fallait cent jours pour réussir, ont-ils prévenu Hollande que ces cent jours ne se situaient pas à la fin mais au début de son quinquennat ?
Bien entendu, cette proposition serait sans grand intérêt pour le chef de l’Etat si elle ne suscitait pas le trouble dans les rangs de l’adversaire. Ancien Premier ministre, François Fillon défend depuis plusieurs années le principe d’une telle réforme de nos institutions. Plus récemment, Nathalie Kosciusko-Morizet a souligné qu’avec le temps il fallait prendre acte que notre régime s’était présidentialisé. A droite, cette problématique apparaît régulièrement. La première fois qu’elle a été exprimée clairement, c’est dans le Nœud gordien, examen de conscience politique de Georges Pompidou avant que le destin, écrira-t-il, ne le précipite dans l’action et les responsabilités.
Oh, le beau débat en perspective, de quoi s’empailler durant des mois, quel délice ! Mais posons plutôt la question clairement : aller vers un régime présidentiel, pourquoi pas, mais pour faire quoi ? Où est l’utilité de permettre au président de la République de concentrer entre ses mains davantage de pouvoirs si la personne qui occupe la fonction n’a pas une idée très précise de l’objectif vers lequel elle doit conduire le pays ? On comprend alors que cette proposition que l’on croit habile peut revenir comme un boomerang en soulignant, si cela était nécessaire, le goût de son lanceur pour la procrastination.
Lorsque Pompidou choisit d’intituler son recueil de réflexions le Nœud gordien, il ne choisit pas ce titre par hasard. Il renvoie à ce nœud formé par Gordias, roi de Phrygie, impossible à défaire et tranché par Alexandre le Grand. Pompidou sait que tout problème rendu insoluble doit être résolu par une décision nette, claire, brutale.
Pour le successeur de De Gaulle, nul ne peut avoir l’ambition de gouverner la France sans avoir fait, au préalable, ce fameux « examen de conscience politique », cette halte au cabinet de réflexion, ce détour par l’introspection volontaire. Un tel examen visait, selon lui, à « redéfinir clairement à soi-même » « non pas un programme, non pas une tactique en vue de parvenir ou de se maintenir au pouvoir, mais une conception et je dirai une morale de l’action ». Pardon, la citation peut apparaître longue, mais tout ici est dit et bien dit. Il se murmure que François Hollande a lu ce testament pompidolien, espérons qu’il l’a fait moins rapidement qu’avec la phrase de Thorez sur les grèves.
Au fond, on ne peut trancher le nœud gordien qu’en ayant, auparavant, défait tous ceux que l’on a noués dans sa tête. Avant d’offrir le monde grec à des terres où prospéraient les divinités au ventre brûlant et transformer l’Indus en pédiluve pour ses phalanges macédoniennes, le grand Alexandre a eu pour précepteur Aristote, ce qui, convenons-en, a dû apporter un peu de clarté dans son jugement et ses prises de décision. On notera que, étrangement, nul ne songe à demander à François Hollande qui fut son précepteur. Je ne parle pas ici de tutorat politique (ce dernier est connu de tous avec le triumvirat Mitterrand-Delors-Jospin), mais de magister intellectuel. Personne ne se hasarde à poser la question à ce président de la République : quand vous prenez une décision politique, à quelle définition de l’Homme, nette, claire, vous reportez-vous ?
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments