Ce week-end, deux événements politiques d’importance pour la gauche se sont faits face. D’un côté, la clôture du 37ème Congrès du Parti communiste français. De l’autre, le lancement de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Dans la dernière ligne droite avant l’échéance de 2017, « l’autre gauche » doit encore composer avec deux stratégies qui se font concurrence.
Ce dimanche, place de Stalingrad, on se presse. Une foule dense et compacte est venue assister au lancement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Certains ont même fait une sacrée trotte, venus des quatre coins de la France, pour en être. Parmi les nombreux drapeaux du Parti de gauche, on aperçoit aussi, qui flottent au-dessus des têtes, ceux du Parti communiste français. Car malgré la concomitance de l’événement avec le pique-nique organisé par le PCF à Aubervilliers à l’issue de son 37ème Congrès, ils sont plusieurs communistes à avoir décidé de sauter le déjeuner pour rejoindre Stalingrad. Combien sont-ils ? Difficile à dire. Mais il suffit de tendre l’oreille et capter des bribes de conversations pour les identifier dans la foule. Car ils sont de plus en plus nombreux au parti de Maurice Thorez et Georges Marchais à s’interroger sur les choix de leur secrétaire national.
« Je suis venu directement après le Congrès », raconte ce militant communiste parisien, fringuant trentenaire, à son voisin. A quelques pas de lui, deux autres militantes communistes ne cachent pas leur agacement. « On devrait tous être là à le soutenir ! », s’exclame l’une d’elle. « Moi ça fait 20 ans que je suis au parti. Eh bien je n’ai pas adhéré pour ça. Pierre Laurent va tuer le parti s’il continue comme ça ! », s’énerve l’autre. Et de se plaindre de l’ambiance tendue dans sa fédération des Haute-Garonne : « On ne peut plus rien dire sur Mélenchon. On se fait direct engueuler », confie-t-elle. « C’est la même chose sur Paris », abonde d’un air défait, le communiste parisien qui s’est joint à leur conversation. Même sur scène, on en retrouve plusieurs, tel Francis Parny, membre du Conseil national du PCF qui a appelé à soutenir Mélenchon. Durant son discours, l’eurodeputé prendra d’ailleurs bien soin de faire applaudir Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble, une des composantes du Front de gauche, et… Marie-George-Buffet, ancienne secrétaire nationale du PCF, qui sont venues toutes deux assister à ce grand rassemblement.
#insoumis5juin Le pari de la France insoumise est réussi! Quelque chose est en train de naitre ici avec #jlm2017 pic.twitter.com/t1GjVe0iiR
— Senor Fidel (@senorfidel) 5 juin 2016
Cette mise en cause de la stratégie de Pierre Laurent s’est traduite le 4 mai, lors du vote sur le choix de la base commune, le texte discuté et amendé lors du 37ème Congrès. Celui proposé par la direction, donc par le premier secrétaire, n’a recueilli que 51,20 %. Un score qui, dans l’univers communiste, est le signe d’un véritable désaveu. En 2013, le même Pierre Laurent obtenait ainsi un peu plus de 73% sur son texte. Même en 2008, lors du 34ème Congrès, Marie-George Buffet, alors fortement contestée après son score à la présidentielle de 2007 en dessous des 2%, atteignait 60,90 %. Au centre des tensions, la question des alliances et de la primaire. D’un côté Pierre Laurent qui se refuse à en fermer la porte, de l’autre, autour de Jean-Luc Mélenchon, ceux qui souhaitent en finir avec la question du candidat pour, dès à présent, entrer en campagne.
On a souvent trop facilement résumé les tensions qui traversent le Front de gauche à de simples questions de personnes, des fâcheries entre responsables politiques en somme qui auraient pris le pas sur l’élan collectif. Pourtant, les dissensions qui ont eu raison du Front de gauche ont toujours relevé d’un choc de stratégies, les conflits de personnes n’en étant que la conséquence. Et il en est de même dans cette dernière ligne droite avant la présidentielle.
Ce samedi 4 juin, à Aubervilliers, lors du débat général sur les échéances électorales à venir, il fallait écouter attentivement Pierre Laurent essayer de convaincre les centaines de délégués présents pour bien comprendre sa lecture du paysage politique et social actuel :
« Si nous ne voulons pas construire des alliances avec des courants transformateurs mais aussi réformistes qui seraient prêts à agir sur nos objectifs, et bien moi je le dis, il n’y a pas de Front populaire et citoyen majoritaire possible (…) soit nous pensons que pour 2017 nous en sommes à l’hégémonisme du courant révolutionnaire pour conjurer les dangers dans lesquels nous sommes. Mais si nous ne le pensons pas, ce qui serait faire preuve d’un petit peu de lucidité mes camarades, mais que nous pensons qu’une majorité de notre peuple (…) ne veut pas de cette politique (…) alors nous devons travailler dans ce sens là ».
Il en est intimement persuadé, s’appuyant sur l’exemple du Front populaire de 1936 : il n’y aura de victoire que si la gauche est unie. De celle qui va des frondeurs du PS aux écologistes d’EELV jusqu’au NPA. Ce qui explique que Laurent, dans un étrange exercice de style pour un communiste, défend même lors de son intervention, avec une certaine ferveur, les « courants réformistes » de gauche (sic). Et la nécessité de constituer une large majorité : « Oui, la transformation révolutionnaire, si on veut parler comme ça, elle ne passe pas que par l’élection présidentielle. Même je dirais que si elle ne passe que par ça, on est pas prêt d’y arriver ! (…) Et même si le président de la République est Front de gauche, demain, le Parlement devra rendre des comptes au peuple, pas au Président. » C’est bien là que le bât blesse. Le chef de file des communistes est moins intéressé par la présidentielle que par les législatives de 2017 et les municipales qui suivront.
C’est ce qui l’a poussé à ne pas refuser d’entrée de jeu l’idée d’une primaire des gauches et des écologistes, alors même que la participation de François Hollande était évoquée. A la fois pour tendre la main vers les écologistes et éviter d’effrayer les frondeurs du PS. Et même si, sous la pression d’une partie de des troupes, le dirigeant communiste a dû « clarifier » sa position à l’occasion de ce Congrès, Laurent ne lâche pas la primaire. Une primaire, oui mais sans le chef de l’Etat ! Quant au rapprochement avec une partie du PS, Pierre Laurent résiste encore, toujours dans l’optique de convergence avec l’aile gauche socialiste. Les interventions d’André Chassaigne, le président des députés Front de gauche et celle de Ian Brossat, adjoint d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, iront dans le même sens : justifier la nécessité d’avoir des élus communistes partout et « vanter » le travail fait avec les socialistes les plus à gauche. Dans la tête de Pierre Laurent, pour sauver le parti et sauver la gauche, le PCF doit, plus que de miser sur la présidentielle, se doter d’un maximum d’élus lors des élections prochaines. Et donc de stratégies d’alliance avec d’autres forces, avec en ligne de mire la recomposition de la gauche autour d’un pôle de transformation.
Le représentant de la France insoumise, lui, est dans une approche diamétralement opposée. Convaincu depuis son départ du PS que son ancien parti, à l’occasion du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005, a rompu avec le peuple et que le quinquennat de François Hollande n’a fait que confirmer cette fracture, il est, selon lui, absolument nécessaire de couper définitivement les ponts. Mieux, que l’hégémonie du parti d’Epinay sur la gauche connaît ses dernières heures. Quant aux frondeurs, il ne les voit que comme des poisson-pilotes de François Hollande, des alibis pour que le PS puisse encore se revendiquer de « la vraie gauche ». Persuadé que le gros des troupes n’osera pas quitter le bateau ivre socialiste avant les législatives de 2017, rien ne sert de ménager la machine PS. Surtout, la résurgence du mouvement social à l’occasion du combat contre la loi El Khomri, fait dans son esprit, office de véritable alignement des planètes.
Jean-Luc Mélenchon, croit, à l’image d’un Evo Morales, d’un Hugo Chavez ou même d’un François Mitterrand, en la rencontre d’un moment, d’un homme et d’un peuple. Il paraît persuadé que la traduction politique du mouvement social actuel ne peut-être que dans sa candidature. Avec des scores dans les sondages au-dessus du seuil des 10%, Mélenchon croit en « la victoire ». Dans cette perspective, lui qui revendique le passage à une VIe République compte pourtant bien sur le monarchisme de la Vème pour lui donner les moyens d’agir. Depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, la présidentielle est devenue l’élection reine. Les législatives n’en étant qu’une réplique. La gagner, c’est donc remporter les législatives. Autre raison qui lui permet, à lui et à ses troupes, de ne pas trop s’inquiéter des autres mandats est, qu’à la différence du PCF, le Parti de gauche, constitué à une large majorité de bénévoles, n’a pas besoin, lui, d’élus pour survivre.
Entre les deux hommes donc, se dressent deux stratégies qui visent deux objectifs différents. L’horloge tourne et il ne leur reste plus que quelques mois pour tenter une dernière fois de les rapprocher.
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