Loi Sapin contre la corruption : la transaction qui fâche

Un dispositif très controversé concernant la corruption, niché dans la loi Sapin, va être débattu à partir de ce 6 juin à l’Assemblée nationale. Retoquée par le Conseil d’Etat, la mesure est revenue sous forme d’amendement socialiste.

Au cœur d’une loi sur la transparence qui ravit tout le monde à gauche se niche un dispositif controversé : la mise en place d’une transaction pénale pour les entreprises françaises poursuivies pour corruption. L’idée avancée par Bercy serait de solder les poursuites par une amende, sans inscription au casier judiciaire, et surtout sans procès, lequel intervenait il est vrai souvent dix ans après les faits. Une petite révolution qui rapprocherait la France des Etats-Unis, à une nuance près : les procureurs sont nettement plus mordants Outre-Atlantique qu’ils ne le sont dans l’Hexagone, où leur indépendance n’est encore qu’un vain mot. Le tout avec la bénédiction du Medef, qui verrait ainsi l’un de ses rêves réalisés par Michel Sapin.

Mise en garde du Conseil d’Etat

Les promoteurs de cette nouvelle règle arguent que la corruption ne fait pas de victimes, sauf qu’en y regardant de plus près, un marché truqué ne lèse pas seulement les concurrents, il pervertit aussi la décision publique et pèse sur les épaules du contribuable. Raisons pour laquelle le Conseil d’Etat, qui a validé l’essentiel de la loi Sapin II, s’est fendu d’une sévère mise en garde au sujet de cette « convention de compensation d’intérêt public ». Elle avait pour objet de sanctionner les entreprises ayant commis des faits de corruption et de prévenir la récidive, tout en leur évitant, pour cause de condamnation, d’être automatiquement privées d’accès aux marchés internationaux, notamment nord-américains, rappelle le Conseil d’Etat, avant de formuler son désaveu : 

« Le dispositif envisagé ne permet pas à la justice pénale d’assurer pleinement sa mission (…) En l’absence de contradiction et de débat public, l’intervention de la justice perd sa valeur d’exemplarité et la recherche de la vérité s’en trouve affectée ».

Retour par voie d’amendement

Autant les arguments avancés par Bercy pouvaient tenir la route en cas de corruption internationale, autant les magistrats du Conseil d’Etat ont toussé lorsqu’ils ont vu que ces facilités s’appliqueraient également aux faits de corruption franco-français. Le gouvernement a jugé prudent de retirer ce dispositif instaurant une forme de « plaider-coupable » à la française, mais voilà qu’il revient par le biais d’un amendement déposé par la député socialiste Sandrine Mazetier. Son amendement ne vise pas seulement à rétablir la transaction, mais à l’élargir aux infractions connexes, comme cet abus de bien social qu’une partie de la droite cherche à dépénaliser depuis une vingtaine d’années. Pour arrondir les angles et tenir compte malgré tout des remarques du Conseil d’Etat, l’amendement suggère cependant que les transactions ne soient plus du ressort du procureur, mais du juge d’instruction, censé être plus indépendant.

Peu sensible à l’argument selon lequel il conviendrait de fluidifier la vie des entreprises, gênées par ces procédures à rallonge, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, a déjà fait savoir qu’il était opposé à tout mécanisme de transaction. De quoi animer les débats dans l’hémicycle, où Michel Sapin doit ce 6 juin dans l’après-midi défendre un texte destiné à permettre à la France de « rattraper son retard » en matière de lutte contre la corruption. Une façon de ringardiser définitivement le fameux Parquet financier créé une dizaine d’années plus tôt par la gauche.      

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply