Hors-série "Marianne" : les derniers vrais fromages de France

Découvrez notre guide des 45 appellations d’origine, notre sélection des meilleurs fromagers affineurs, les plus beaux accords vins-fromages…

EDITO

Halte aux mensonges anti-lait cru : il n’est de véritable fromage que fermier

Jusqu’à l’installation des technologies permettant de les produire de façon mécanique, à l’aube du XXe siècle, il n’y eut d’autres fromages que fermiers, donc élaborés à la ferme, avec le lait tiré des vaches, des chèvres ou des brebis de la ferme, nourries aux herbages de la ferme. Les troupeaux évoluaient sur les pâturages de la vallée, du bocage ou du causse, grimpaient vers les alpages ou l’estive à la belle saison et, une fois l’hiver venu, ruminaient à l’étable le foin de la prairie. Cette agriculture paysanne travaillait sans contrainte sanitaire, le lait cru disposant d’anticorps naturels éliminant les intrants bactériens, au contraire du lait pasteurisé, extrêmement fragile s’il est réexposé à des germes pathogènes. Et si accident il y eut, le risque zéro n’ayant jamais existé, il provoqua infniment moins de dégâts que les toxines de la malbouffe contemporaine. La biodiversité était à son comble, refétant les nuances du terroir. Pour exemple, dans le seul canton de Bricquebec, au nord du Cotentin (Manche), on ne comptait pas moins d’une vingtaine de producteurs de camembert en 1910.
Le lait cru n’est plus aussi « cru » qu’il l’était autrefois
Originaire de Cherbourg, l’aïeule de votre serviteur, née en 1899, se souvenait que l’on servait quatorze camemberts différents sur la table dominicale du Quenillé et que, tout en les dégustant, grand- père Vauvert pouvait donner le nom de chaque producteur : un tel provenait de la ferme de La Cauvinière, à Sottevast, tel autre de la ferme Pierrepont, à Quettehou. La Normandie revendiquait alors deux bons milliers d’ateliers fermiers sur les cinq départements et plus d’une centaine de fabrications mécanisées. Il reste en tout et pour tout deux producteurs fermiers et huit derniers industriels utilisant du lait cru en 2016. Il nous faut révéler ici une douloureuse réalité : du fait d’une aseptisation globale du milieu ambiant et de l’hygiénisme normatif imposé à la filière agricole depuis plusieurs décennies, le lait cru n’est plus aussi « cru » qu’il l’était autrefois. La fore microbienne indigène présente à l’état naturel est considérablement inférieure à ce qu’elle fut. L’environnement a changé et la nature avec lui. Il convient donc de réensemencer le lait pour renforcer ses pouvoirs fermentaires, tout en verrouillant les risques de contamination pathogène. Ce qui permet d’affrmer que le plus authentique des fromages de terroir n’est plus aujourd’hui ce qu’il a été. Terrible aveu. Cela ne retire rien à la qualité de notre production fermière, dont nous défendons la pérennité à Marianne. La préservation de nos traditions fromagères devient en effet un enjeu majeur face aux normes de plus en plus drastiques que subissent abusivement les professionnels du lait cru, l’acharnement dont font preuve certaines administrations pour les coincer faisant penser à du parti pris idéologique. La sécurité alimentaire n’est pas négociable, sauf lorsqu’elle sert de prétexte à éradiquer la concurrence pour consolider les parts de marché du lobby industriel. Les fromages fermiers ne sont pas les seuls à être visés, la petite et moyenne industrie laitière attachée au lait cru est elle aussi victime du zèle, voire du harcèlement, de certains agents de l’État. Les exemples pullulent.
Des milliers de tonnes de fromages sacrifiées sur l’autel du dogme hygiéno-politique
La listeria a souvent bon dos pour obtenir la fermeture d’une unité de production ou envoyer à la destruction un lot «contaminé », alors qu’une nouvelle offensive se prépare à Bruxelles pour faire établir la dangerosité du lait cru à l’échelle européenne. En 2015, des milliers de tonnes de fromages furent sacrifiées sur l’autel du dogme hygiéno-politique. À force de pressions (et de répressions déguisées), des filières entières finiront par cesser leur production et le camp du tout pasteurisé aura gagné. Banalisation alimentaire dans un monde soumis et aseptisé ! Il est évident, au-delà du débat sur l’agriculture durable, que la biodiversité dérange le système libéral et que l’équation fnancière industrie-publicité-grande distribution se satisfait mal des produits vivants. Pourquoi ? Tout simplement parce que le lait cru est plus complexe à traiter à grande échelle et que son passage par les procédés industriels nécessite des moyens onéreux. Doté de sa flore naturelle active, le fromage au lait cru évolue plus rapidement qu’un fromage pasteurisé, dont la capacité de conservation est plus longue, donc plus rentable. La thermisation (63°) ou la pasteurisation (72°) du lait limitent les contraintes et augmentent les marges de profit, l’idéal pour satisfaire aux enjeux financiers du consumérisme. Surtout sur les rayonnages de la grande distribution.

En 2007, le groupe Lactalis et la coopérative Isigny Sainte-Mère exigèrent que le cahier des charges du camembert de Normandie aban- donne l’obligation du lait cru pour bénéfcier de l’AOC. Ils furent déboutés. Hélas pour les marchands de plâtre aux étiquettes glorifées par la pub, les tenants de l’authenticité organolep- tique et sensorielle des pâtes fermentées, soutenus, pour l’heure, par l’Inao, veillent au beurre… Auront-ils toujours les moyens légaux de soutenir le combat du pot de lait contre le pot de fer ? Leur détermination, et la vigilance du consommateur averti, demeurent l’atout essentiel pour la sauvegarde du patrimoine fromager français dans le respect de ses origines. Touche pas à mon fromage… fermier !

Périco Légasse

 

Cet hors-série est disponible en kiosques au prix de 7,50 €. Vous pouvez aussi le consulter sur notre liseuse Web et Android app on Google Play grâce à nos offres d’abonnement numérique et intégral.

 

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