Les costards d'Emmanuel Macron

Rattrapé par le fisc pour avoir sous-estimé sa fortune, essoré par les réseaux sociaux pour avoir répondu à l’interlocuteur qui lui demandait des comptes : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler », Emmanuel Macron s’est déjà fait tailler plus d’une veste.

« J’aimerais que cette fin de mandat ne soit pas l’occasion de guerres civiles au sein de la gauche. » Quand on connaît l’état réel de la droite et les tensions en son sein qui vont transformer la future primaire d’octobre prochain en une énorme boîte à claques, ce souci de Nathalie Kosciusko-Morizet, émis sur France Info, ne manque pas de piquant. Il faut pourtant reconnaître que, ces temps derniers, le degré de haine de ce côté-ci de l’échiquier politique a atteint un tel niveau que l’affrontement entre les Stark et Ramsay Bolton dans « Game Of Thrones » apparaît comme une partie de croquet.

« Que cherche le coucou du ministère de l’egonomie ? »Cette haine est d’autant plus incandescente qu’elle a établi son campement au cœur même de l’exécutif. Entre les partisans de Hollande et ceux de Valls tout d’abord, mais aussi entre les porte-flingues respectifs de ce couple impossible et le vibrionnant Emmanuel Macron. Agressif : « Le puceau a besoin de se prendre quelques bonnes paires de baffes. » Pilhanesque : « Si ça continue, il sortira couvert de goudron et de plumes. » Grinçant : « Que cherche le coucou du ministère de l’egonomie ? » Visiblement, les hollandais historiques et hystériques sont indifférents aux cajoleries politiques prodiguées par le chef de l’Etat à l’égard de son ministre. Ils retiennent moins l’aménité publique que l’animosité privée, préférant rapporter que Hollande tient un tout autre discours en petit comité, multipliant les bons mots sur « M. Couac 40 » tant ce dernier additionne les vestes et les impairs.

« Les merdes volent toujours en escadrille », aimait répéter Jacques Chirac pour se consoler. C’est peut-être ce que se dit Macron, rattrapé par le fisc pour avoir sous-estimé sa fortune, essoré par les réseaux sociaux pour avoir répondu à l’interlocuteur qui lui demandait des comptes : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. » Pour quelqu’un ambitionnant de renouveler le discours politique, c’était là reprendre une vieille antienne que l’on peut traduire trivialement par « Bougez-vous le cul ! » En 1978, le Premier ministre de l’époque, un certain Raymond Barre, avait déclaré : « Les chômeurs n’ont qu’à créer leurs entreprises. » Depuis, cette formule est devenue l’horizon indépassable du hollando-macronisme. La pierre philosophale transformant la précarité et l’absence de protections en solutions contre le chômage. Comme si créer des entrepreneurs, c’était créer des emplois. Glissons. Le problème est que cette sotie intervient après le dérapage sur les ouvrières « illettrées » de l’abattoir Gad et celui, concocté à Los Angeles, sur la nécessité d’avoir de « jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ». Des éléments qui exsudent le mépris social qu’affectait autrefois la jeunesse dorée de Fréron. Des erreurs, nous murmure-t-on à l’oreille, une garantie de la « fraîcheur » de celui qui dit tout haut ce qu’une partie des Français pensent tout bas, l’assurance qu’au mentir-vrai de Hollande pourrait succéder le parler-vrai d’un Macron. Soit.

« Je ne suis pas naïf, il n’y a pas de coïncidences »S’agissant de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), cela montre, au passage, le bon fonctionnement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique mise en place à la suite de l’affaire Cahuzac, ayant pour mission de veiller à « la probité et l’exemplarité des responsables publics ». Mais ce n’est pas ce qu’a retenu le ministre, qui s’est défendu en épinglant les services qui auraient « brisé le secret fiscal ». Eh oui, Bercy n’est plus tenu : « Je ne suis dupe de rien, sachez-le. Je ne suis pas naïf, il n’y a pas de coïncidences. » Il n’y a pas de hasard, disait avant lui Nicolas Sarkozy et, encore avant celui-ci, le mathématicien Cournot, il n’y a que la rencontre de deux déterminismes. Surtout quand l’orage médiatique tourne autour de l’intéressé.

Allons ! Le désordre établi peut dormir tranquille sous sa couette meringuée de certitudes. Si les saillies de Macron ou son indélicatesse fiscale n’ont pas raison de lui, la machine aux diffamations et aux rumeurs tournent à plein rendement, faisant entendre son staccato dans les salles de rédaction, les couloirs des chaînes. Il faudrait être sourd ou venir de la planète Zorg pour ne pas avoir entendu au moins une fois les rumeurs que l’on déverse sur le sémillant ministre de l’Economie, et ce depuis des mois. Elles débutent toujours par cette attaque : « Est-il vrai que Macron… ? » Eh oui, en France, on a dissous les Renseignements généraux, élément précieux dans la lutte contre le terrorisme et les extrémistes de toute obédience, mais on a bien pris soin de ne pas toucher aux officines publiques, semi-privées et privées qui innervent le monde politique et économique.

Plus fort que « Les experts à Miami » avec leur lampe bleue, nos modernes barbouzes dissèquent le cas Macron, le reniflent, l’exposent, prélèvent les moindres petits faits de son quotidien comme s’il s’agissait de l’ADN d’un criminel mais sans prendre de gants. Ce que l’on nomme pompeusement dîners en ville et qui ne sont en fait que des propos de comptoir tenus dans des hôtels aux charpentes lambrissées bruissent de mille hypothèses qui ne tournent guère autour de ce que dit ou fait Emmanuel Macron. Non. S’abaisser à cette réflexion reviendrait à se demander si, après le berlusconisme à la française (Sarkozy), nous allons connaître une forme de blairisme à la française. Avec toujours dix ans de retard. Ce serait fastidieux et, surtout, dangereux. Non, la seule chose qui intéresse les dîners en ville, qui n’ont vu venir ni la menace terroriste et le surgissement d’un Etat islamique effaçant les frontières, ni la crise économique mondiale de 2008 est, comme l’a si bien analysé le romancier Stéphane Denis, « qui couche avec qui ». Telle est la question. Voilà du vrai, du solide, de l’info pure que les narines béantes et frémissantes des importants sont prêtes à accueillir.

« Il n’incarne que le vide »Rien de nouveau, dira-t-on. Certes. Coups fourrés, coups bas et coups tordus, ces friandises de la Ve République, suçotées jadis par les barons du gaullisme, sont produites à grande échelle par les hiérarques de la droite et de la gauche qui en ont les poches bourrées. Le Grand Paris n’est pas près de voir le jour, mais le Petit Paris des remugles prospère. Plus les enjeux idéologiques sont escamotés et plus nos campagnes présidentielles et désormais les primaires, qui ont (presque) fini par escamoter le premier tour de l’élection reine, sont l’occasion d’un vaste lâcher de rumeurs, d’intox et de boules puantes.

Pour une partie du PS, l’adversaire est plus coriace qu’il ne paraissait de prime abord. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a convié, vendredi 27 mai, la presse à l’étang de l’Or, près de Montpellier, afin d’assister à une pêche à l’anguille. Sachant parfaitement où il doit mener sa barque, le ministre a saisi le poisson devant le regard énamouré des mêmes – ou presque – qui avaient photographié jadis Sarkozy chevauchant avec la majesté d’un gardian un poney en Camargue. L’anguille. Peut-il y avoir plus beau symbole de la situation actuelle de Macron, qui glisse entre les doigts des éternels permanents de la Rue de Solferino ?

De quoi Macron est-il le nom ? « Du vide ; du vide de la politique française. » Invité le 13 mai de la première édition du Club Paris Première à l’occasion de la sortie de son livre-programme, Jacques Attali avait prévenu au début de l’exercice qu’il refuserait de prononcer le nom de celui qui a « un talent fou ». Mais il a fallu une question, une seule question, pour que le gros chat donne quelques coups de griffes bien sentis à celui qu’il a « repéré tout de suite, présenté au candidat Hollande » : « Il n’incarne que le vide, que cette gauche qui veut à la fois être au pouvoir et ne pas y être parce qu’elle déteste la gauche de gouvernement. Il est le nom de ceux qui rêvent que la gauche ne soit pas au pouvoir. »

Le bruit court que le ministre séduit moins. Qu’il séduit moins ou qu’il inquiète ? Certains grands patrons renâclent quand il pointe du doigt certains salaires et commencent à bouder le dandy de Bercy. Résumons : un homme qui exaspère Le Siècle, indispose Hollande, agace Carlos Ghosn et irrite Attali a-t-il forcément tout faux ? Nombreux, très nombreux, sont ceux qui actuellement rêvent de lui tailler un costard afin qu’il arrête ses effets de manches. Le problème est que, loin de stopper quoi que ce soit, la chute de Macron, si elle avait lieu, provoquerait des incidents en chaîne. Il est trop tard. Macron n’est pas une fusée, comme le titrait un hebdomadaire. Non. C’est une grenade dégoupillée…

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