A l’heure où L’Elysée, Matignon, le Medef, la CFDT, Force ouvrière et la CGT se déchirent sur la loi Travail, « Marianne », dans son numéro en kiosques ce vendredi, remet ces joutes en perspective, dans une Europe ravagée par le dumping social et menacée dans son existence même par la montée de populisme. En demandant à Pierre Moscovici, commissaire européen à l’Economie et aux Finances, et à Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, et membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT) de confronter leurs points de vue. Extraits.
Marianne : Bernard Thibault, avec Force ouvrière, la FSU et Solidaires, la CGT ne cesse pas la bataille contre le projet de loi El Khomri. Pourquoi ?
« Va-t-on avoir en Europe les conflits parmi les plus brutaux de tous les continents ? »Bernard Thibault : Je ne suis plus membre de la direction de la CGT et je siège au conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT). Militant engagé, je m’oppose au prétendu bien-fondé de cette refonte du code du travail. Je déplore d’abord la méthode, des plus brutales, le gouvernement ayant produit 130 pages de modifications du code du travail sans réunir les syndicats, avant d’agiter la menace du 49-3 à l’intention des récalcitrants. Sur le fond, ensuite, je m’oppose à ce texte car il n’existe pas d’exemple où la fragilisation des règles du travail crée de l’emploi. Au contraire, décentraliser les droits sociaux au niveau des entreprises est un marché de dupes. Car ces dernières seront en concurrence quand nous aurions besoin qu’elles financent solidairement la sécurisation des parcours professionnels. Ainsi la photographe sociale du monde que je livre dans La troisième guerre sociale est mondiale révèle qu’un travailleur sur deux dans le monde n’a pas de contrat de travail, 73 % n’ont pas de protection sociale, la moitié d’entre eux, pas de retraite. Le Sénégal, l’Inde, ou les Etats du Golfe ne possèdent quasiment aucune réglementation. Ils devraient donc nager dans le plein-emploi ! Eh bien, c’est tout le contraire : précarité et misère y dominent.
C’est pourquoi l’OIT et nombre d’experts alertent sur le risque d’une nouvelle conflagration économique mondiale en exhortant les Etats à ne pas diminuer les sécurités dont bénéficient les travailleurs. On pourrait donc attendre de la Commission européenne qu’elle porte aussi ce message. Mais non, hélas… Au contraire, les réformes du code du travail prônées par Bruxelles en Italie en Espagne ou au Portugal, où le nombre des travailleurs couverts par les conventions collectives a fondu de 2 millions à 300 000 salariés, introduisent des fragilités sociales sans favoriser l’emploi. Je rappelle que, en 1944, l’OIT a promu le concept selon lequel le travail n’est pas une marchandise. Que, en 1945, la nécessité de concevoir un espace politique européen permettant de régir nos différences, voire de constituer un continent où la paix perdure, faisait l’unanimité. Or, sur un plan politique, cette Europe promeut désormais des mouvements nationalistes et racistes. Va-t-on avoir en Europe les conflits parmi les plus brutaux de tous les continents ?
Pierre Moscovici, partagez-vous cette analyse selon laquelle, lorsqu’on ne répond pas aux attentes sociales, les citoyens plébiscitent les extrêmes, au point de menacer l’Europe ?
P.M : La France est, avec l’Autriche, le pays européen où l’extrême droite est la plus forte : le populisme menace en effet l’Europe et notre pays. Nous approchons même d’un moment dangereux – le climat politique est de plus en plus évocateur des périodes sombres de notre histoire. Dans un contexte sans doute moins dramatique, une même tentation est à l’œuvre que dans les années 30, où le malaise social a débouché sur le nationalisme. Je garde d’ailleurs en mémoire la phrase de François Mitterrand devant le Parlement européen : « Le nationalisme, c’est la guerre. » Tous ceux qui souhaitent au contraire que l’Europe grandisse et ont à cœur un certain internationalisme sont invités à lutter frontalement contre les populismes – en France, contre le Front national.
« La gauche doit continuer à parler à l’électorat FN »Quand j’ai commencé ma trajectoire politique il y a vingt ans, j’avais une conception un peu naïve de ce qu’était son électorat, et j’inclinais à le diaboliser. Elu d’un territoire industriel en souffrance économique et sociale, j’ai eu ensuite l’occasion de rencontrer des électeurs de ce parti – qui d’ailleurs étaient aussi souvent les miens. C’était pour beaucoup des ouvriers déstabilisés par la mondialisation et qu’inquiétait la perspective du déclassement. Je suis convaincu qu’aujourd’hui la gauche doit continuer à leur parler, à les convaincre. Même sur la réforme du marché du travail.
Le travail n’est pas une marchandise, vous avez raison, mais – c’est là que je me sépare de vous – je persiste à penser que les réformes réussies des marchés du travail créent des emplois. D’où mon conseil d’être à la fois défensif et offensif, et toujours plus inventif que conservateur. Ainsi, il y a vingt ans, le site de Sochaux comptait 14 000 emplois de production et nous voulions conserver cette base industrielle, tout en sachant que nous ne pourrions pas sauver tous ces postes. Aujourd’hui il n’y en a plus que 10 000. Quand j’étais président de l’agglomération du pays de Montbéliard, je me suis donc battu pour les emplois dans l’automobile, mais j’ai aussi encouragé la création d’entreprises de diversification dans d’autres secteurs industriels, dans l’innovation ou dans les services.
B.T : J’admets que Pierre Moscovici est sincère quand il déclare vouloir lutter avec intransigeance contre les populismes. Mais cette assertion est contradictoire avec certaines pratiques de l’UE. A propos du Brexit, par exemple : la négociation avec la Grande-Bretagne a autorisé ce pays à ne plus verser la totalité des prestations sociales britanniques aux migrants. De fait, cela génère un message qui valide dans nos institutions la discrimination entre travailleurs… et nous met en contradiction avec la convention 143 de l’OIT…
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>>> Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro de Marianne en kiosques.
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