Robert Ménard organisait ce week-end dans sa ville une rencontre destinée à rassembler « la vraie droite ». Au programme : ambiance senior, « grand remplacement » et portes qui claquent… Voici notre journal de bord.
Vendredi 27 mai, 20h. Sous un ciel menaçant, une petite foule se masse à la sortie du Palais des congrès de Béziers. Une très large majorité de cheveux blancs (et quasi-exclusivement des Blancs tout court). On commente avec avidité la conférence que vient de donner Denis Tillinac sur le thème « Qu’est-ce qu’être de droite ? » L’ambiance s’est tendue lorsqu’un participant a demandé à l’écrivain de s’expliquer sur son amitié avec Jacques Chirac, puis quand l’orateur s’est attiré des huées en qualifiant le Front national d’« allié conscient ou pas du Parti socialiste ». Yves de Kerdrel, le patron de l’hebdo Valeurs actuelles – qui co-organise l’évènement – s’en est lui aussi pris à « l’extrême extrême droite » au programme économique « sectaire ». On comprend la mine renfrognée de Marion Maréchal-Le Pen, venue représenter le FN avec l’eurodéputé Louis Aliot. Dans la rue, la députée du Vaucluse se prête tout de même au jeu des selfies, mais le soir, elle boudera le dîner privé où Robert Ménard l’a conviée avec les autres élus.
Samedi 28 mai, 9h45. Devant les journalistes, Robert Ménard assure la promo de son week-end… tout en multipliant l’air de rien les piques contre le FN, qui l’a pourtant soutenu lors de son élection comme maire de Béziers en 2014. Lui veut « une droite qui ne rase pas les murs, plus libérale, moins étatique ». « Je suis en désaccord avec ceux qui pensent : ni droite, ni gauche. Je suis pour l’alliance de toutes les droites », poursuit-il. « Ici, on n’est le marchepied de personne », affirme-t-il encore. « Gagner avec seulement Marine Le Pen, c’est impossible. » Une dernière pour la route ? « Je pense que l’euro est un bouclier pour la France, pas un handicap. » Un désaveu clair du programme économique frontiste.
10h15. Ce programme, il en est justement question lors d’une table ronde un peu houleuse sur l’économie. Si les intervenants critiquent l’euro, de nombreuses voix dans la salle contestent les accents colbertistes d’un Florian Philippot, le bras droit de Marine Le Pen. Pendant ce temps, au théâtre municipal, où se tient une autre conférence sur les médias, l’ambiance est plus consensuelle : tout le monde se retrouve contre la « mainmise gauchiste sur l’espace médiatique », selon les termes de l’avocat Gilles-William Goldanel. Un autre intervenant propose « la liquidation judiciaire immédiate de l’Humanité« sous les applaudissements du public. Le micro circule dans la salle. « L’information, aujourd’hui, c’est de la propagande », lance un participant. C’est Emmanuelle Duverger, la patronne du site identitaire Boulevard Voltaire – et l’épouse de Robert Ménard – qui anime le débat. A la sortie, elle se réjouit de cette méthode qui consiste à « écouter les gens d’abord ». On en profite pour l’interroger sur le financement du « Rendez-vous de Béziers ». « La mairie ne paie rien, il n’y a pas un euro d’argent public », assure-t-elle, en expliquant que les fonds viennent des participants – qui ont payé 5 euros chacun – et des médias organisateurs.
14h. Sur la place Jean Jaurès (oui, oui), Marion Maréchal-Le Pen est en terrasse avec une tablée de cadres frontistes. Mécontente, elle vient de faire savoir aux journalistes qu’elle quittera Béziers plus tôt que prévu. « On a annulé son direct au 13 heures sur TF1 », complète son conseiller en communication. Autour de la table, on s’agace contre les organisateurs du week-end, soupçonné d’être hostiles au FN « alors que 80% des gens qui sont ici sont au Front », s’emporte le député Gilbert Collard. Yves de Kerdrel tente bien de se rabibocher avec la députée, sans grand succès…
15h15. Début de la très attendue table ronde sur l’immigration. Comme à la plupart des conférences, il n’y a que des hommes sur scène. Le ton est donné d’entrée de jeu : « La question du changement de peuple et de civilisation est la plus grave. Nous avons très peu de temps », affirme Renaud Camus, célèbre dans les milieux d’extrême droite pour avoir théorisé le thème complotiste de « grand remplacement ». « Je n’ai pas de preuve, mais on n’a pas demandé à Jean Moulin : pouvez-vous préciser, département par département, ce qui vous permet de parler d’occupation allemande ? Ça crève les yeux ! », lance l’écrivain. « Notre pays est colonisé », ajoute celui qui se dit « absolument partisan de la remigration ». Les autres intervenants fustigent « les femmes voilées avec une ribambelle d’enfants que l’on voit dans Béziers » ou s’indignent parce qu’« à Marseille, le premier nom de naissance est Mohammed ». A leurs côtés, Ivan Rioufol, le très droitier chroniqueur du Figaro, passe presque pour un gauchiste… Il est d’ailleurs copieusement hué lorsqu’il appelle à « ne pas stigmatiser l’immigré » mais « l’oligarchie qui nous a fait croire que la société multiculturelle était souhaitable ». Dans la salle, les micros passent et les pulsions se libèrent. Parmi les mesures proposées, « une solide politique nataliste évidemment réservée aux Blancs » ou l’interruption de « l’émigration des vrais Français » (sic). Dehors, quelques centaines d’opposants à Robert Ménard manifestent bruyamment. Face-à-face court mais tendu avec les partisans du maire, dont certains hurlent « la France aux Français ! »
23h. La droite « hors les murs » s’est installée dans ceux de l’Hallégria, un vaste bar du centre-ville. Ici se retrouvent intervenants et participants, dans une ambiance musicale un peu datée où Nuit de folie succède à Daniel Balavoine. Robert Ménard fait le tour des tables et serre les pinces, mais ne veille pas trop tard. Pas comme Elisabeth Lévy, la toujours déchaînée patronne de Causeur. On commente abondamment le tweet-clash entre Robert Ménard et Florian Philippot, qui a qualifié de « flop » la rencontre de Béziers, ainsi que le psychodrame du jour : « En réalité, c’est Marine Le Pen qui a appelé Marion pour lui demander de partir », confie un journaliste de Valeurs actuelles en allumant une énième cigarette.
Dimanche 29 mai, 10h. A la tribune, Robert Ménard dit sa satisfaction d’avoir réuni « des gens qui ne s’étaient jamais parlé ». Il remercie les intervenants et fait ovationner Marion Maréchal-Le Pen : visiblement, le public ne tient pas rigueur à la frontiste d’avoir claqué la porte. Puis Ménard égrène une cinquantaine de mesures qu’il soumet au vote de la salle, priée de se prononcer en levant une feuille bleue pour oui, rouge pour non. Sans surprise, le public approuve à une quasi-unanimité – et avec une satisfaction bruyante – la potion choc qu’on lui soumet : expulsion systématique des condamnés étrangers, suspension de l’espace Schengen, abrogation de la loi Taubira, suppression du regroupement familial et de la double nationalité, rétablissement du droit du sol, interdiction du voile, fin des 35 heures… « Et l’euro ? » demandent certains. « On essaie de trouver ce qui nous rassemble », balaie Ménard, signe que le sujet reste brûlant. La sono lance ensuite le Chant des partisans, hymne de la Résistance… dont quasiment personne ne connaît les paroles ! La Marseillaise aura plus de succès.
Midi. Le hall du Palais des congrès se vide, mais le stand où Renaud Camus dédicace ses livres ne désemplit pas. Ici, le public a l’air définitivement convaincu par le concept de « grand remplacement ». « Merci pour tout ! » lui lance une dame. « Bravo pour votre combat ! », renchérit un autre fan. Mais l’écrivain, lui, a un regret : « J’aurais souhaité qu’une candidature sorte de ce rendez-vous », nous glisse celui qui soutient Marine Le Pen « par défaut », mais préférerait « idéalement » sa nièce, dont il fait l’éloge de la « beauté » et du « charme ». « Ah, si elle était présidente… », soupire quelqu’un dans la queue.
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