Grand Paris : la police de Sarkozy prend l'eau

Un rapport remis au ministère de l’Intérieur souligne les graves dysfonctionnements de la nouvelle police de l’agglomération parisienne.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait accouché de deux grandes réformes pour la police, « sa » police, pourrait-on dire, tant l’ancien président lui témoignait de la sympathie. La première, consistant à fusionner deux services de renseignement (la DST et les Renseignements généraux), a depuis longtemps montré ses limites. Avec la vague d’attentats qui a frappé la France en 2015, les nouveaux champions du renseignements, enfermés dans leur bulle, ont peu à peu perdu le lien avec le terrain, notamment dans les quartiers dits « sensibles » où ont basculé certains adeptes de la terreur.

La seconde réforme avait pour ambition de créer la police du Grand Paris : réunir 31 000 policiers au sein d’une seule et même structure, mutualiser les forces de la capitale avec celles des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis. L’objectif était de faire sauter les vieux carcans territoriaux pour qu’émerge une police du territoire. Six ans plus tard, à la demande du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale de la police nationale viennent de procéder à l’évaluation de cette « police d’agglomération ». Leur rapport confidentiel, remis au ministre de l’Intérieur en mars et dont Marianne a eu connaissance, n’est pas tendre.

« La police d’agglomération a globalement répondu à ses objectifs, résument les auteurs, mais au prix d’une centralisation excessive. » Bonne nouvelle, il y a du mieux sur le front du maintien de l’ordre public, avec une préfecture de police de Paris qui répond « de façon plus réactive à des événements graves et inopinés ». Un bémol cependant : la direction de l’ordre public est appelée à moins négliger les préfets de département, trop souvent mal informés.

« Une certaine opacité »

Le rééquilibrage des effectifs entre la capitale et les départements limitrophes, au cœur de la démarche, n’est en revanche pas au rendez-vous. Tout juste a-t-on réussi à préserver les forces en banlieue dans un contexte de déflation majeure des effectifs de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, fer de lance de la réforme, qui ont fondu de 13 % entre 2008 et 2015. En s’en tenant au nombre de policiers par habitant, la ville de Paris reste mieux dotée que ses voisines, et la Seine-Saint-Denis, largement sous-dotée.

l’affaiblissement des trois préfets des départements limitrophes perturbe les élus locauxLa police d’agglomération a également manqué l’un de ses objectifs, si l’on en croit les inspecteurs généraux, l’administrateur civil et le commandant de police mobilisés pour cette vaste enquête. Elle n’est pas parvenue à abolir les frontières. « Le fonctionnement en tuyaux d’orgue des directions actives de la Préfecture de police contribue toujours à une certaine opacité, observent-ils. Les procédures de transmission de l’information n’ont pas toujours intégré la présence des préfets de département, qui, de leur côté, n’ont pas adapté leur mode de permanence au fonctionnement en continu des salles opérationnelles de la préfecture de police. » Conséquence, l’affaiblissement des trois préfets des départements limitrophes perturbe les élus locaux, « qui se plaignent d’un déficit d’information et d’un moindre partenariat lié à la fragilisation de la chaîne de représentation de l’Etat, le préfet de département comme le chef de circonscription n’étant plus parfaitement avisés de l’action des services de police et ne maîtrisant plus tous les leviers nécessaires ». Privés des statistiques de la délinquance, mal informés du nouveau fonctionnement de la Préfecture de police, navrés de voir la marge de manœuvre de leur commissariat réduite, les élus interrogés perçoivent la Préfecture de police comme une maison « lointaine et complexe ». Tous ou presque voudraient que le préfet de département redevienne un interlocuteur « pleinement pertinent » et regrettent amèrement une centralisation « excessive »…

Rêves de grandeur

Le rapport souligne encore que la police du Grand Paris a débouché sur une « déresponsabilisation des échelons locaux d’encadrement des services de sécurité de proximité ». Trois domaines semblent particulièrement fragiles : une police judiciaire de proximité « en grande difficulté », « avec des stocks grandissants de dossiers non traités » ; une lutte contre l’immigration irrégulière « marquée par un report de charges mal maîtrisé » du service de renseignements vers la sécurité publique, en clair, « désorganisé », et enfin une police de proximité dont la coupure avec le terrain a été aggravée par les mesures de sécurité qui ont suivi les attentats de janvier, puis de novembre 2015. « Ces mesures pèsent sur le potentiel d’équipages disponibles en matière de lutte contre la délinquance ou tout simplement de présence sur la voie publique », tranchent les rapporteurs. Avec pour effet inévitable un accroissement du délai d’intervention des véhicules de police-secours.

Le traitement de choc voulu par Nicolas Sarkozy n’aurait pas non plus amélioré le partage du renseignement entre la Direction du renseignement de la Préfecture de police et la Direction générale de la sécurité intérieure, « complexifiant » même les circuits, à en croire les auteurs du rapport… Constats cuisants qui poussent les inspecteurs à inviter le ministre de l’Intérieur et le nouveau préfet de police, Michel Cadot, à revoir la copie en profondeur et à limiter les dégâts. « La création de la métropole ne justifie pas une extension des limites de la police d’agglomération au-delà de la petite couronne », écrivent-ils pour contenir les rêves de grandeur des technocrates. Et d’enfoncer le clou : « Il ressort des entretiens menés par la mission un sentiment diffus d’inefficience d’un dispositif devenu trop centralisé et trop éloigné du terrain. […] La mission suggère des initiatives concrètes visant à redonner à chaque chef de circonscription des marges de manœuvre, ainsi que du sens à l’action de son service. » Une manière de ventiler une matière grise trop concentrée sur l’île de la Cité.

Entre 2008 et 2015, la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne a perdu 3 100 fonctionnaires, soit 13 % de ses effectifs. Paris a perdu plus de policiers que les départements voisins, avec une baisse de 14 %, le Val-de-Marne étant relativement épargné (- 1 % des effectifs), de même que les Hauts-de-Seine (- 4 %), la Seine-Saint-Denis souffrant davantage (- 6 %). Des chiffres que les auteurs du rapport sur la police d’agglomération parisienne mettent en perspective avec l’évolution de la population, qui s’est stabilisée durant la même période à Paris alors qu’elle a augmenté dans le même temps de plus de 4 % en petite couronne. « L’adaptation de la répartition des effectifs aux phénomènes de délinquance n’a donc pas été suffisante et la police du quotidien s’en ressent en banlieue », concluent-ils.

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