Violences lors des manifs : le préfet de police de Paris tente-t-il de manipuler les manifestants ?

Le 12 mai, lors de la manifestation contre la loi El Khomri, des manifestants se sont attaqués au service d’ordre de l’intersyndicale, suspecté de « connivence » avec la préfecture de police. Des scènes qui se sont répétées ce mardi 17 mai. A l’origine, un communiqué des services de Michel Cadot, le préfet de police.

De mémoire de manifestants, on n’avait pas vu ça depuis des lustres. Mardi 17 mai, lors de la manifestation parisienne contre la Loi El Khomri, les services d’ordre (SO) des syndicats FO et CGT sont venus en nombre. Celui de la CGT qui compose le cortège de tête, arrivé en premier place Denfert-Rochereau, s’équipe alors. Casques sur la tête, lunettes de protection, masques d’infirmier pour se protéger des gaz lacrymogènes et… manches de pioche, matraques télescopiques et même batte de baseball à porté de main. Les syndicalistes sont sur le pied de guerre et pour cause.

Le SO de la CGT, armé de matraques télescopiques et de battes de baseball, se retire sous les huées. #manif17mai pic.twitter.com/kSs2ACagzR

— Hugo-P. Gausserand✏️ (@HugoGausserand) 17 mai 2016

Lors de la manifestation du 12 mai, quelques jours auparavant, le SO de l’intersyndicale, composé d’ouvriers de la CGT du Livre et de syndicalistes de FO, avaient violemment été pris à partie par une centaine de manifestants issus du cortège « autonome » qui, et c’est une nouveauté, prend systématiquement la tête de cortège depuis le début du mouvement contre la loi El Khomri. Invectives aux cris de « SO, collabo », jets de pavé et scène de lynchage, les syndicalistes, après avoir tenté de repousser à trois reprises la foule masquée et agressive, se sont repliés, emportant avec eux des dizaines de camarades blessés. Ce scénario ne se répétera pas. Le mardi 17 mai, donc, dès que les « autonomes » arrivent sur la place, des projectiles volent en direction du SO. La réaction des syndicalistes est immédiate. Ils chargent la foule menaçante, sans ménagement, et la fait reculer en direction de la gare Denfert Rochereau. Image terrible de manifestants qui s’affrontent entre eux. 

Comment en est-on arrivé à ces scènes dignes des années 70, époque phare des affrontements entre « gauchistes » et organisations politiques et syndicales de gauche ? Si les services d’ordre ont toujours suscité de la méfiance chez certains manifestants, avec quelques bousculades et tensions à la clé, depuis des années, rien d’équivalent.

A l’origine : un communiqué de la préfecture de police

C’est un communiqué de la préfecture de police, publié le 11 mai, en vue de la manifestation prévue le lendemain, qui va mettre le feu aux poudres. 

« Afin d’apporter le maximum de sécurité et de garantir le bon ordre de cette manifestation déclarée, le Préfet de police Michel Cadot a rencontré les organisateurs pour préciser, avec eux, les modalités les plus adaptées pour son déroulement (…) Dans le but de faciliter une progression adaptée de la manifestation le long de son itinéraire, il a été décidé, en accord avec les organisateurs, de positionner une partie des forces de l’ordre en amont du cortège. (…) Tout au long de la progression une liaison étroite sera maintenue entre les forces de l’ordre et le service d’ordre des organisateurs dans le but d’assurer le déroulement normal de la manifestation ». 

« Préciser avec eux »« en accord avec les organisateurs »« liaison étroite »: tout laisse à penser, si on ne s’en remet qu’à la communication des services de Michel Cadot, qu’organisations syndicales et Préfecture de police travaillent « main dans la main ».

[#manifestation] Précisions et recommandations de la Préfecture de police pour la manifestation de ce jour pic.twitter.com/HXoW17iJw5

— Préfecture de police (@prefpolice) 12 mai 2016

Rapidement partagée, la prose de la préfecture enflamme les réseaux militants « autonomes ». La preuve est faite de la collusion entre les syndicats traditionnels et les forces de police. Syndicalistes et flics, même combat ! Sur Facebook, certains se laissent même aller à des menaces à peine voilées« Nous signalons aux membres du SO et aux « organisateurs » de la manifestation que toutes les personnes collaborant avec la police seront dès lors considérées comme telle ! » Et tout ça sur la seule bonne foi d’un communiqué du préfet de Police, Michel Cadot, le représentant à Paris du gouvernement de Manuel Valls. Cherchez l’erreur !

Le jour même, l’Union syndicale Solidaires Paris, syndicat difficilement susceptible d’être suspecté de connivence avec le pouvoir et la Police, tente de calmer les esprits sur son compte Twitter : « Entre ce qui est dit face au Préfet et ce qu’il a envie de communiquer, il y a un fossé. Donc pas d’emballement ! On a rien signé avec eux ! » Trop tard. Le lendemain, à l’approche de la fin du parcours, alors que les forces de police, étrangement, se retirent dans une petite rue, le SO de la CGT et de FO se retrouve seul dans un face à face avec le cortège « autonome ». Avec les conséquences que l’on connaît.

« Il y a une volonté nette de diviser le mouvement contre la loi El Khomri. C’est une vielle stratégie patronale que la préfecture a mise en œuvre, en soufflant sur les braises », s’exaspère un syndicaliste de Solidaires Paris auprès de Marianne. Car lui était présent lors de cette fameuse réunion. Et le compte-rendu qu’en a fait la préfecture est loin, très loin de la réalité des échanges qu’il rapporte.

« Avec ce communiqué, c’est comme s’il disait : « Tapez-vous dessus » » 

Ce mardi 10 mai, des représentants de la CGT, FO, Solidaires et Unef, se rendent à la préfecture pour déposer le parcours de la manifestation du 12 mai. Rien d’inhabituel là-dedans. Comme le prévoient les articles L211-1 à L211-4 du code de la sécurité intérieur, pour l’autorisation d’une manifestation sur la voie publique, il est obligatoire que les organisateurs se soumettent à une déclaration préalable en préfecture pour Paris, indiquant le « but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté. » Une procédure à laquelle toute organisation, quelque soit sa radicalité, doit se plier. 

« Une fois que l’on avait fini de négocier et signer le parcours, un agent est venu nous dire que Michel Cadot souhaitait nous voir. Il se disait très inquiet sur les violences possibles après le recours au 49-3 par le gouvernement », se souvient le syndicaliste. Dans son bureau, le préfet tente alors d’arracher l’accord des représentants de l’intersyndicale sur le dispositif policier, sans succès :

« A Solidaires, comme on ne peut pas aligner un SO aussi important que la CGT, il voulait que des CRS soient positionnés autour de notre cortège. On a refusé tout net. Il nous a aussi demandé, à nous et à la CGT, si nous étions d’accord pour que des policiers interviennent dans le cortège syndicale pour arrêter des manifestants considérés comme des casseurs. A l’unisson, on lui a dit que c’était hors de question en lui expliquant que nous n’avions pas vocation à être des auxiliaires de police ». 

Et d’ajouter : « Il y a pas eu d’accord, loin de là. Le préfet nous a mis devant le fait accompli. On a pas eu le choix ».

Quant à « liaison étroite » entre les SO et la préfecture, elle ne s’est limitée qu’à un simple agent affecté à chaque organisation chargé durant la manifestation de faire savoir quand le cortège avance ou s’arrête. « Sauf qu’à chaque fois, on a eu l’information avant lui par nos camarades. C’est totalement inutile », ironise-t-on à Solidaires. « Inutile » sur le terrain, certes, mais terriblement efficace en terme de communication si l’on souhaite rendre la situation explosive. « Il est clair que Cadot a voulu diviser le mouvement. Avec ce communiqué, c’est comme s’il disait « tapez-vous dessus' ». Des consignes prises au pied de la lettre par une partie des manifestants.

La police s’interroge aussi

Depuis le début du mouvement social contre la loi El Khomri, la gestion du maintien de l’ordre interroge jusque dans les rangs de la police-même. Le 5 mai, sur France Info, Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance Police Nationale, s’est livré à une coup de gueule inattendu« Lorsque vous voyez des casseurs détruire les vitrines, saccager des panneaux publicitaires, se servir des tubes néons à l’intérieur pour attaquer les forces de l’ordre et que des policiers mobilisés sont en face d’eux et qu’ils doivent attendre une heure en face d’eux pour intervenir (…) on se demande bien pourquoi​ », interroge-t-il. « L’Etat doit prendre ses responsabilités, ne pas nous laisser attendre des heures face à des casseurs identifiés, qu’on pourrait même peut-être préventivement assigner à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ou interpeller », poursuit-il avant de livrer le fond de sa pensée : 

« Je pense que ça vise aussi à discréditer le mouvement social et syndical parce qu’évidemment, lorsque des syndicalistes manifestent contre un texte et qu’il y a des casseurs qui cassent tout dans le quartier, que les riverains sont exaspérés et que la police ne peut pas rapidement intervenir, et bien ça discrédite aussi quelque part le mouvement social ».

Quelques jours plus tard, le JDD a publié le témoignage d’un CRS, sous couvert d’anonymat, dans le même questionnement. Comme par exemple ce 9 avril, lorsque son équipe est positionnée près de la place de la République alors qu’un groupe cagoulé s’apprête à prendre la tête du cortège : « On les connaît bien, ce sont des ultras connus des services de renseignement. On avait un signalement précis. On s’est dit qu’on n’allait pas les laisser passer… On n’a jamais reçu l’ordre »Et d’en conclure : « Une manifestation qui se passe bien, on parle du fond. Quand vous avez des casseurs, on se focalise sur les violences et les vitres cassées (…) Est-ce que le gouvernement est assez vicieux pour faire ça? ». 

La question ne s’est jamais autant posée. La préfecture de police, elle, sollicitée par Marianne, n’y a pour l’heure pas répondu.

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