Le sélectionneur Didier Deschamps dévoile ce jeudi 12 mai la fameuse liste des 23 joueurs de l’équipe de France qui, en tant que nation organisatrice, donnera dans moins d’un mois le coup d’envoi de l’Euro de football. Auquel l’UEFA a invité un sponsor azerbaïdjanais bien loin des valeurs que prétend promouvoir l’événement…
« La célébration du sport, de ses valeurs, de sa ferveur, seront au cœur de cet Euro 2016 », répète à l’envi le ministre des Sports Patrick Kanner. L’esprit d’équipe, la solidarité, le dépassement de soi, le bien-être… Autant de valeurs universelles que le football est censé incarner et diffuser lors de l’Euro qui se jouera en France du 10 juin au 10 juillet. L’UEFA (confédération européenne du football), qui organise la compétition, défend ainsi onze « valeurs clés », au premier rang desquelles : « Le football est un jeu avant d’être un produit, un sport avant d’être un marché, un spectacle avant d’être un business ». Vraiment ? L’organisation de cet Euro 2016 est pourtant en partie financée par un sponsor bien peu en phase avec les droits de l’Homme : SOCAR, l’entreprise pétrolière publique de l’Azerbaïdjan…
SOCAR est le véritable bras financier de l’Azerbaïdjan qui ne fait pas figure, loin s’en faut, de terre de liberté. Culte de la personnalité de son président, élections truquées, incarcération des opposants politiques et des journalistes… Les Nations unies ont d’ailleurs décerné pas plus tard que le 3 mai le prix mondial de la liberté de la presse à Khadija Ismayilova, journaliste azerbaïdjanaise arrêtée en 2014 et « connue pour ses enquêtes approfondies sur la corruption au plus haut niveau de l’Etat », comme le souligne Johann Bihr, de Reporters sans frontières. La rédactrice engagée a été condamnée l’an dernier à sept ans et demi de prison, pour des motifs fallacieux.
L’UEFA « ne commente pas » ces questions
Michel Platini décoréContactée par Marianne au sujet de cette petite contradiction – compromission ? -, l’UEFA souligne qu’elle a « signé un contrat avec SOCAR et non pas avec l’Azerbaïdjan » et que de toute façon, elle « ne commente pas des questions d’ordre géopolitique ». La confédération reconnaît néanmoins qu’il « est maintenant courant que divers groupes d’intérêts utilisent la tenue d’événements internationaux tels que l’Euro pour parler de leur cause ». Quelle cause ? Cela n’est pas précisé. « L’UEFA est à l’écoute de tous les acteurs de la société afin de participer à son amélioration », ajoute-t-on simplement. Quelle amélioration ? Vous connaissez la musique… L’UEFA va même plus loin, estimant que son sponsor caucasien est un formidable ambassadeur des valeurs qu’elle défend : « Le soutien de SOCAR au football européen nous permet notamment de développer des valeurs de respect et de fair-play qui vont bien au-delà des terrains de jeu »… Sic.
L’hypocrisie de l’UEFA dans ses relations avec l’Azerbaïdjan n’est pas nouvelle. L’Etat du Caucase, après avoir accueilli en 2012 la Coupe du monde féminine des moins de 17 ans de la FIFA, sera le théâtre de quatre matches de l’Euro 2020. La désignation de Bakou comme ville hôte de cette compétition itinérante a été décidée sous la présidence de Michel Platini, lequel d’ailleurs été décoré en 2007 par le président Ilham Aliyev de l’Ordre de gloire, la plus haute distinction nationale, « pour ses contributions au développement du football en Azerbaïdjan ».
La « diplomatie du caviar » ne touche pas que le football
Des manifestations extrêmement coûteuses. Mais en se montrant de plus en plus visible dans le football ouest-européen, Bakou recherche à « s’afficher comme un Etat moderne » aux yeux de ses partenaires occidentaux, nous décrypte Pim Verschuuren, spécialiste de l’impact du sport dans les relations internationales à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Le régime est ainsi devenu dès 2013 le principal sponsor du club espagnol de l’Atletico Madrid, jusqu’à la dernière saison. Le slogan « Azerbaïdjan, Land of fire » a également été floqué sur le maillot du club du RC Lens. Derrière cette opération : Hafiz Mammadov, un homme d’affaires azerbaïdjanais proche du pouvoir caucasien qui refuse aujourd’hui de quitter le club nordiste, qu’il a pourtant amené en liquidation judiciaire. Au-delà de cette « diplomatie sportive » , l’Azerbaïdjan pratique également le ripolinage de son image auprès de notre classe politique, comme l’avait montré en septembre dernier le magazine Cash Investigation, qui a mis en lumière la « diplomatie du caviar » à laquelle se livre le pays caucasien à l’égard de certains députés français. En échange de cadeaux et d’investissements dans leur circonscription, nos représentants tressent les lauriers d’un pays « moderne » et « sur la voie de la démocratie »…
Le monde du sport, lui, a montré depuis longtemps que les valeurs qu’il affiche haut et fort ne l’empêchent pas de se tourner vers toute sorte de régime politique. Pékin a ainsi veillé à réduire ses opposants politiques au silence avant d’accueillir les Jeux olympiques de 2008, ce qui avait provoqué un appel – vain- au boycott de la compétition. Les JO de Pékin n’ont fait qu’ouvrir la voie : six ans après, la Russie accueillait les JO d’hiver, alors que le régime de Poutine venait notamment d’adopter une loi punissant tout acte de « propagande homosexuelle », qui avait même suscité l’inquiétude des athlètes gays. En 2022, c’est le Qatar qui accueilliera la Coupe du monde de football : les spectateurs siègeront alors dans des travées élevées avec la sueur et le sang de milliers d’ouvriers immigrés traités comme des esclaves. Mais le jeu en vaut la chandelle pour les régimes autoritaires : l’organisation de compétitions sportives de premier plan permet « d’apaiser les éventuelles contestations internes », développe Pim Verschuuren, par exemple « dans ces pays où le football est très populaire« . S’il a des jeux en effet, que demande le peuple ?
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