Avec Bolloré, le clair de Canal+ est de plus en plus crypté

Le départ de Yann Barthès pour TF1 vient encore déplumer les tranches en clair de la chaîne cryptée, déjà mal en point depuis la reprise en main de l’actionnaire Vincent Bolloré.

Il l’a fait savoir par une dépêche de l’AFP, lundi 10 mai à 7h30 du matin. Après 12 ans à l’antenne, Yann Barthès quitte Canal+ avec armes et bagages pour le groupe TF1. L’un des visages du ton jeune, branché et impertinent qui faisait encore le sel du fameux « esprit Canal » rejoint donc le navire amiral de la télévision familiale et populaire, dont l’ex-patron Patrick Le Lay définissait le métier comme la vente de « temps de cerveau disponible » à Coca-Cola. Tout un symbole… Et un signe de plus du délitement des programmes en clair de la chaîne depuis que Vincent Bolloré a pris le contrôle du groupe Canal+ l’an dernier.

Certes, contrairement à d’autres cadres virés sans ménagement par Bolloré ces derniers mois, Yann Barthès et sa bande n’ont pas été jetés dehors. Du moins, pas directement. Un signe ne trompe pas : dans un tweet, Canal+ « remercie Yann Barthès et toute l’équipe de Bangumi (la boîte de production du ‘Petit journal’, ndlr) pour les belles années passées ensemble ». C’est quand même autre chose que le licenciement de l’ancien directeur général du groupe, Rodolphe Belmer : en juillet dernier, ce dernier avait dû quitter les lieux illico presto, sans même avoir le temps de faire ses cartons…

La fin du Petit Journal, « c’était écrit »

En réalité, ce qui a poussé la boîte de production du Petit Journal vers la sortie, c’est l’incertitude qui plane sur les tranches en clair de Canal+ depuis le grand ménage entamé par Vincent Bolloré. L’été dernier, l’industriel devenu président du conseil de surveillance fait passer en crypté les mythiques Guignols de l’info – devenus au passage tellement insipides que plus personne n’en parle. Il écarte ensuite le producteur historique du Grand Journal, Renaud Le Van Kim, et confie l’émission phare de la chaîne à une filiale de Vivendi, la maison mère de Canal+. L’objectif est de réduire les coûts mais l’audience aussi fond : elle a chuté de moitié depuis la dernière saison. De quoi décourager les producteurs du Petit Journal, qui ont préféré prendre les devants et faire leurs valises. « C’était écrit, glisse à Marianne un journaliste de Canal. Il les a emmerdés avec les sous. » La prochaine victime de Bolloré pourrait être Le Supplément, émission en clair également produite par Bangumi. Le magazine dominical est « presque condamné », croit savoir Libération ce mardi. A la direction de Canal+, on proteste à peine. « La question se pose mais rien n’est tranché », nous assure-t-on.

« Le Petit Journal, c’était un peu le dernier territoire d’esprit critique sur Canal »Bref, sur les tranches en clair, c’est le coup de rabot à tous les étages. « Techniquement, Bolloré a gagné de l’argent sur des émissions comme ‘Le Grand Journal' », nous confie un collaborateur de la chaîne. « Le message qui passe actuellement, c’est de réduire au maximum les coûts du clair, augmenter les investissements sur toutes les offres du crypté – sport, cinéma, séries – et les marchés en expansion comme l’Afrique. » Historiquement, les plages en clair étaient conçues comme la vitrine de la chaîne, destinée à soigner son image et à attirer les abonnés. Mais aujourd’hui, avec la concurrence d’une trentaine de chaînes gratuites, le contexte a changé : plus question d’engloutir autant de millions pour le clair de Canal+, alors que le groupe a déjà une fenêtre sur la télévision gratuite avec sa chaîne D8, portée par Cyril Hanouna et ses « fanzouzes », et qu’il cherche à se débarrasser de sa chaîne d’info iTélé.

A vouloir faire des économies sur la vitrine, Bolloré risque pourtant de la saccager. « Ça fait un an qu’il détruit systématiquement toute la valeur de cette boîte.Le Petit Journal’, c’était un peu le dernier territoire d’esprit critique sur Canal », enrage Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur en chef adjoint du magazine Spécial Investigation – victime, lui, de censures à répétition – et délégué syndical SNJ-CGT. « Quand on veut faire un Netflix européen (l’un des projets de Bolloré, ndlr), encore faut-il que le public se sente un peu respecté. »

« Ne pas se mettre en danger »

La situation au service des sports de Canal+ est symptomatique de cette stratégie incertaine. Côté pile, Canal+ a conclu un projet d’accord avec la chaîne qatarie beIN Sports – qui dispose d’une partie des droits de la Ligue 1 de football – pour la distribuer à ses abonnés – qui fuient par dizaines de milliers. Un rapprochement encore conditionné à une décision cruciale de l’Autorité de la concurrence, dans la deuxième quinzaine de mai. Côté face, la cure d’austérité se poursuit. Selon nos informations, le budget du service des sports vient ainsi d’être réduit de 20%. Et la ligne éditoriale est aussi dans le collimateur. « Il faut séduire, plaire à l’abonné et ne pas se mettre en danger », a récemment intimé la direction du service au cours d’une réunion avec la rédaction. Sous-entendu : ne pas froisser les clubs de foot au moment où il s’agit de valoriser le championnat de France. En septembre dernier, Vincent Bolloré s’était déjà plaint d’un reportage qui donnait, selon lui, une image trop négative de l’Olympique de Marseille.

Conséquence de la méthode Bolloré, les équipes sont à cran. Un journaliste décrit « un climat de terreur dans la rédaction ». La communication anxiogène du patron n’est pas pour arranger les choses. Le 21 avril, l’homme d’affaires n’a carrément pas exclu l’hypothèse d’une fermeture de la chaîne. Plusieurs salariés y voient une manière de mettre la pression sur l’Autorité de la concurrence en vue de l’accord avec beIN. « En attendant cette décision, les dirigeants sont tétanisés : ils ne décident rien, alors qu’on les harcèle pour demander les grilles de programmes de la rentrée », dénonce le syndicaliste Jean-Baptiste Rivoire. Cet accord avec beIN Sports, « c’est une décision forte, c’est assez structurant pour nous », justifie-t-on à la direction de Canal+. Et en attendant le verdict, on assume un « effort » budgétaire pour lequel « tout le monde est mis à contribution ». Des économies, donc, mais sans vraies perspectives… Résultat, « dans les couloirs, c’est confus. La plupart des employés ne comprennent pas vraiment la direction que prend le groupe », raconte un collaborateur. Chez Canal+, l’avenir du clair est de plus en plus obscur.

 

 

 

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