C’est le choc à EELV. Quatre membres ou ex-membres d’EELV témoignent à visage découvert de faits pouvant relever de harcèlement voire d’agression sexuelle commis par Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale. Des faits qui dateraient de plusieurs années et qui pose la question de l’omerta dans le parti écolo.
« Quel honteux foutage de gueule, Denis Baupin avec du rouge à lèvre en mode « je soutiens les femmes », ça me donne envie de hurler et de vomir en même temps. N’y a t il aucune limite à l’indécence ? » C’était le 11 mars 2016. Pour Elen Debost, adjointe à la jeunesse EELV de la mairie du Mans, trop, c’est trop. Sur son compte Facebook, l’élue poste ce message en réaction à une photographie sur laquelle plusieurs parlementaires, dont Denis Baupin, député ex-EELV et vice-président de l’Assemblée nationale, s’affichent avec du rouge à lèvres lors de la journée internationale des droits des femmes. Insupportable pour elle. Dans le fil de discussion sous ce post, elle précise :
« C’est profondément choquant et indécent de sa part (…) Ca fait longtemps que ça me démange, mais surmonter la honte d’avoir été un « femme victime » est encore plus difficile à lever dans le monde politique tant ça va à l’encontre de ce que nous devons incarner pour y exister. Il faudrait que ce soit collectif, inter-parti, sinon la peur, la honte, la protection et les pressions de « l’appareil » l’emporteront toujours (…) Un souvenir cuisant de mains baladeuses lors d’une soirée de régionales en 2010. »
L’affaire en reste là. Elle dit en creux tout ce qui sera révélé ce 9 mai au matin.
Car ce lundi, deux mois après ce coup de gueule, France inter et Mediapart livrent une enquête détaillée sur les agissements présumés de Denis Baupin sur ses collègues femmes. Les faits sont graves. On parle de plusieurs cas relevant d’harcèlement et même d’une possible agression sexuelle. A l’appui de ces accusations, quatre élues qui ont décidé de briser la loi du silence en témoignant à visage découvert : Sandrine Rousseau, porte-parole d’EELV, Isabelle Attard, ancienne d’EELV, Annie Lahmer, conseillère régionale Ile-de-France EELV et Elen Debost. Denis Baupin a pour sa part répliqué, par le biais de son avocat, qu’il s’agissait « d’allégations mensongères ».
« Je suis sidéré, abasourdi par ces révélations. J’ai honte », réagit ce lundi, David Cormand, secrétaire national d’EELV, auprès de Marianne. Et tient à saluer le courage de ses camarades : « Je suis reconnaissant et fier de ce qu’elles ont fait. Elles ont eu le courage de parler. Car le premier allié de ces actes, c’est le silence ». Justement, comment dans un parti comme EELV, résolument féministe, des faits aussi graves ont-ils pu être passés sous silence aussi longtemps ?
« Ces femmes qui ont été agressées sexuellement n’ont rien dit pendant longtemps. Peut-être parce que nous étions dans un parti relativement petit avec une forme d’entre soi ou il n’était pas question de le fragiliser », avançait ce matin, Noël Mamère, ancien d’EELV, sur le plateau de BFMTV. Pour Cormand, ces faits parlent d’abord du monde politique plutôt que d’EELV en soi : « La politique est un univers très dur, très violent, surtout pour les femmes. Il y a sûrement une forme de peur de dénoncer ce type d’actes, au risque d’apparaître comme faible. C’est une double peine », se désole-t-il. Il ajoute que tous les « corps constitués » peuvent se retrouver face à ce problème d’omerta, et cite les scandales de pédophilie dans l’Eglise :
« C’est peut-être parce nous avons cette tradition féministe à EELV que, malgré tout, la parole a fini par se libérer. Cette mécanique de l’omerta est hélas un élément que l’on retrouve dans tous les corps constitués, les partis, les syndicats ou les entreprises. Avec cette tendance à vouloir tout gérer en interne. L’Eglise aussi, comme les récentes révélations sur des prêtres l’ont montré. Le seul remède, c’est de parler. C’est comme les vampires, pour les faire fuir, il faut de la lumière. Là, pour arrêter et empêcher ces actes, il faut briser le silence ».
Contacté par Marianne, l’entourage d’Isabelle Attard fait savoir que pour le moment, la députée ne souhaite pas répondre aux questions. « Elle est encore sous le choc. Ca se traduit même par un mal de ventre terrible », nous confie-t-on. Même si elle a eu le courage de témoigner à visage découvert, la pression reste élevée, « notamment lorsqu’il faudra affronter dans l’hémicycle le regard des collègues masculins », souffle-t-on. Reste que certaines pistes se dessinent : « Denis Baupin était déjà à l’époque une tête d’EELV, un cadre haut placé. Il y avait une forme de rapport de subordination entre les victimes et lui. Mais ce 8 mars, cette photo [contre la violence faite aux femmes, ndlr] c’était trop », nous explique-t-on.
« Il y avait des rumeurs, mais personne n’avait mis les faits sur la place publique », se désespère auprès de Marianne Julien Bayou, porte-parole d’EELV. « Il faut que la parole se libère. Les victimes ont l’impression d’être toute seule, que celle qui parle sera montrée du doigt », explique-t-il. D’autant qu’à EELV, après la tribune de ces femmes journalistes qui témoignaient déjà de remarques sexistes, de gestes déplacés, voire plus, de certains responsables politiques, un débat au sein du parti s’était ouvert. Ce qui avait débouché sur la création d’une adresse mail pour que les journalistes puissent, si besoin, dénoncer de tels actes s’ils impliquaient des membres d’EELV. Pis, selon Yves Contassot, membre d’EELV et opposant déclaré d’Emmanuelle Cosse, l’ancienne secrétaire nationale aurait tenté de couvrir les agissements de son conjoint. C’est en tout cas ce qu’il a expliqué sur RMC ce 9 mai au matin :
« Quand il y a eu des allusions à ça, assez récemment lors d’un conseil fédéral, à la surprise générale, la personne qui est montée à la tribune pour demander qu’on arrête de discuter de ça, c’est sa compagne, c’est Emma Cosse qui a dit : ‘Stop, j’ai interdit qu’on poursuive ce débat. On réglera ça ailleurs et dans d’autres conditions’. Et là je dois dire qu’il y a eu une sorte de stupéfaction parce que même si le nom de Denis [Baupin] n’était pas évoqué, tout le monde se disait ‘c’est possible qu’il soit implicitement dans les cas qui étaient évoqués’ (sic). On parlait de harcèlement, de viols, etc. »
Des accusations graves à prendre avec des réserves à ce stade. Pour Julien Bayou, « ces témoignages de mes camarades montrent à quel point dans la société, il est difficile de parler lorsqu’on est victime. C’est une maladie de la société française », estime-t-il.
Quant au sort de Denis Baupin lui même, le porte-parole d’EELV souhaiterait que « ces collègues de l’Assemblée votent sa mise en retrait ou sa démission comme ça se fait au Parlement européen ». Un début de réponse qui permettrait que accusatrices et accusé ne se croisent plus dans les allées du Palais Bourbon. Mais loin d’être suffisant pour régler cet engrenage du silence…
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