Sélection à l'université : la surprise de Vallaud-Belkacem

Le projet de décret du 18 avril visant à légaliser la sélection à l’université n’a eu ni les honneurs de la com officielle ni ceux des médias. C’est pourtant un texte historique.

Ce gouvernement qui fait du bruit quand il prend de mauvaises décisions se tait quand il en prend de bonnes. Entre les dernières macroneries et les rêves parties de Nuit debout, le projet de décret du 18 avril visant à légaliser la sélection à l’université n’a eu ni les honneurs de la com officielle ni ceux des médias. C’est pourtant un texte historique. Trente ans après le projet Devaquet abandonné par Jacques Chirac en 1986, Najat Vallaud-Belkacem met fin au tabou de la sélection ! Mais avec une discrétion inhabituelle. Parce qu’elle n’en voulait pas. Cela lui a été imposé au terme d’un passionnant bras de fer. Comme tant de problèmes non réglés, c’est la justice qui a contraint à décider.

En février dernier, le Conseil d’Etat a jugé illégale la sélection en master de certaines universités ayant réussi à développer des formations de qualité dans un océan d’étudiants dont beaucoup n’ont pas le niveau de l’ex-brevet du collège. Ces bastions d’excellence (en sciences, droit, économie) qui concurrencent les grandes écoles expliquent l’attrait nouveau du monde de l’entreprise et de la recherche pour certains masters.

Mais, sans base légale, leur sélection pirate reste à la merci des recours juridiques d’étudiants recalés. Le Conseil d’Etat leur imposant d’y mettre fin, les présidents d’université concernés ont demandé la validation de leurs cursus par décret.

Le gouvernement était donc obligé de sortir de l’hypocrisie de ses prédécesseurs, de gauche comme de droite : d’un côté, fermer les yeux sur les bricolages locaux d’universitaires croyant encore à l’université ; de l’autre, continuer d’assurer à l’Unef que le diplôme universitaire est un droit de l’homme. C’est-à-dire conforter cette schizophrénie d’un enseignement supérieur français globalement hyper-sélectif, mais entretenant l’illusion d’une absence de sélection à l’université, contrainte d’accueillir tous ceux qui n’ont pu intégrer les filières des grandes écoles et des formations professionnalisantes de qualité (DUT, BTS) recrutant sur concours ou dossier.

Système absurde qui voit les meilleurs bacheliers fuir l’université tandis que ceux qui n’ont pas le choix s’inscrivent dans cette voie qui leur correspond le moins – la plus longue et la plus connectée à la recherche – mais qui, restant la seule ouverte, joue le rôle de voiture-balai.

Le triste résultat de ce bluff démocratique est connu. La non-sélection à l’inscription laisse la place à une sélection par l’épuisement autant scolaire que financier : seul un tiers des étudiants de premier cycle obtiennent en trois ans une licence démonétisée.

Ce résultat est si bien connu que de plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans ces nouvelles formations supérieures privées (où le meilleur côtoie le pire), payant ainsi doublement, par l’impôt et par les frais de scolarité, une offre d’enseignement désordonnée qui noie les étudiants des milieux populaires que la sélection bien appliquée a toujours avantagés. Du temps du système méritocratique, la mobilité sociale était supérieure et moindre la différence entre universités et grandes écoles.

Trente ans d’égalitarisme de façade

Or, ce système a été détruit en trente ans au nom d’un égalitarisme de façade. La part des jeunes d’origine populaire à Polytechnique, Normale sup et l’ENA a chuté de 21 % en 1955 à 7 % en 2003. Ils sont les premières victimes de ce massacre universitaire, dernière étape du passage de la méritocratie scolaire prônant l’égalité des chances au slogan mensonger d’une « réussite pour tous » qui ne tolère aucune inégalité, même fondée sur le mérite, et qui favorise en fait les héritiers.

Raymond Aron, à droite, avait annoncé « l’université de la médiocrité » : « L’absence de sélection n’est pas, contrairement à ce que pense la gauche, particulièrement démocratique. » Le mathématicien Laurent Schwartz, grande figure de gauche, disait la même chose, plaidant en vain la sélection auprès de François Mitterrand avant de confier dans son autobiographie : « J’ai vu la fin du nazisme, j’ai vu la chute du mur de Berlin, mais je mourrai sans voir introduite la sélection à l’université… » Il aurait salué le petit commando d’universitaires qui vient d’avoir raison de l’arrogance de Najat Vallaud-Belkacem.

Car, fidèle à son catéchisme prônant la destruction de tout ce qui fonctionne encore, elle a d’abord fait la leçon à ces pseudo-présidents d’université : la sélection dont ils demandent la validation est selon elle « profondément rétrograde », parce qu’elle « laisse des millions de jeunes en dehors de l’enseignement supérieur ». Elle leur annonçait (« Comptez sur moi ! ») une « liste très limitative » de dérogations : pas question de revenir à « d’anciennes lubies, de vieilles lunes qui ne [l]’intéressent pas ».

Cette inculture méprisante a mis hors de lui le président de Pierre-et-Marie-Curie, la seule université française bien classée au niveau mondial en maths et en sciences. Qualifiant publiquement d‘« irresponsables » les propos de la ministre de l’Education, il a rallié trois présidents d’université (Paris-Sorbonne, Paris-Sud, Toulouse-Capitole) en menaçant de ne pas ouvrir de master à la rentrée. Impressionné, l’Elysée a imposé dans la panique un compromis hollandais : la moitié des masters sélectifs seront validés par décret. Céder, mais pas totalement. En espérant que « cela passe » à la fois auprès de l’Unef et des présidents, évidemment pareillement insatisfaits.

Tactique dérisoire face au bazar universitaire qu’espèrent voir réformé autant les étudiants (majoritairement favorables à la sélection) que les enseignants.

 

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