Prince, singulier pluriel

Le Kid de Mineapolis nous a quittés. Inclassable, irremplaçable, « nothing compares to… » him.

Tout juste quatre mois après le départ vers une autre galaxie de l’alien transformiste David Bowie, l’une des plus brillantes étoiles vient encore à manquer à l’appel. Signe des temps ? Prince Rogers Nelson, Kid de Minneapolis, y a rendu son dernier souffle, à 57 ans, le 21 avril à 10 h 7 (heure du Minnesota), dans l’ascenseur de ses studios de Paisley Park, où, depuis 1985, il composait, enregistrait, parfois pendant vingt heures. On suppose que l’ascenseur montait.

«Le Nain pourpre», 1,58 m de pur génie musical, était comme Bowie, un artiste polymorphe, transgenre, total, gérant seul, en bon control freak, son image et son travail, dont il avait acquis, dès le début de sa carrière, en 1978, avec l’album For You – sur lequel il joue de tous les instruments – l’absolue maîtrise. Il en avait même dicté les conditions aux majors d’une industrie qu’il vouait aux gémonies. En 1993, auréolé d’une décennie précédente passée à produire des albums presque parfaits – Dirty Mind, Controversy, 1999, Purple Rain, Sign O’The Times -, il s’oppose violemment à la Warner. Ce Mozart des temps modernes (non, le mot n’est pas trop fort) aura partagé avec le maître de Salzbourg, outre les déviances rythmiques, l’obsession harmonique et les affronts à la bienséance – les fameux strings panthères, jambières noires et talons hauts de la période Dirty Mind, où il questionne : «Suis-je noir ou blanc, un homme, une femme ?» -, les références explicites à une sexualité débridée et un mysticisme ésotérique. Il ira jusqu’à se produire en public avec le mot «slave» – «esclave» – tracé à l’eye-liner sur sa joue, avant de lancer son propre label, NPG Records, et de finir en 1996 par claquer toutes les portes. Ce qui lui permit d’enchaîner les prestations scéniques marathons sans avoir à subir de diktats. Par provocation, mais aussi par conviction.

MUTANT VIRTUOSE

Même si ses créations prolifiques et débridées avaient trouvé un temps refuge sur la Toile, Prince rejetait Internet sous prétexte que c’était «has been». Il avait même opposé un «no» catégorique aux plates-formes de comme Deezer et Spotify, puisqu’elles permettaient aux labels de «doubler leurs revenus en réduisant ce qui revenait aux artistes». Mais il avait autorisé Tidal, la plate-forme lancée par le rappeur Jay-Z l’année dernière, à diffuser ses morceaux, car elle était détenue et gérée par et pour les artistes. Artiste, c’est d’ailleurs l’un de ses multiples avatars, aux côtés de «The Artist Formerly Known As Prince» et de «Love Symbol», ce symbole qui ornait ses pochettes des signes mâle et femelle mélangés. Car, à l’instar de son image androgyne et de sa garde-robe baroque, l’art princier, en plus d’être virtuose, était mutant, unique, singulier. Ni rock ni funk, ni noir ni blanc, ni sexuellement identifié, dual, multiple. Un art généreux. A l’image de ses shows et ses after-shows, où il tenait en haleine un auditoire électrisé. A l’image de son action à Harlem, où il finança une école de danse et de musique, mais, surtout, le Harlem Children Zone, qui sortit des centaines de familles de la pauvreté. Prince avait beau être devenu une légende mondialement respectée, il n’avait pas oublié l’enfant défavorisé qu’il avait été. Il avait d’ailleurs commencé à rédiger ses Mémoires, baptisés The Beautiful Ones, du nom de cette chanson de Purple Rain, son plus gros succès des années 80, aux 20 millions d’albums vendus. Qualifiés d’«anticonformistes» par son éditeur, ils resteront en suspens. Anticonformistes : comme les chansons organiques de son tout nouvel album, désormais testimonial, HitnRun Phase Two, où il avait renoué avec l’énergie d’Around The Word In A Day.

Sometimes It Snows In April, chantait-il sur l’album Parade, sorti en 1986. «Parfois il neige en avril..Ce Sexy Mother Fucker ne saura jamais la justesse prophétique de sa métaphore. Le monde s’est subitement refroidi…


 

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