"Tchernobyl, univers de béton envahi par une jungle amazonienne"

Tchernobyl est devenu son chez-lui, son paradis. Fils d’une victime de la catastrophe, l’écrivain Markiyan Kamysh s’est rendu clandestinement une première fois, il y a sept ans, dans la région contaminée pour y écrire. Depuis, il y est retourné des dizaines de fois et en a tiré un livre stupéfiant, « la Zone », description hallucinée du territoire irradié. « Marianne » en kiosques l’a interviewé. Extraits.

Marianne : Quand avez-vous entendu parler de Tchernobyl pour la première fois ?

Markiyan Kamysh : J’étais très jeune. C’est même un de mes premiers souvenirs d’enfance. Je suis né deux ans après la catastrophe [qui a eu lieu le 26 avril 1986]. Mon père a fait partie des premiers volontaires décontaminateurs à être allés sur place. Il en parlait beaucoup quand ses amis venaient à la maison. J’avais 4 ans. J’étais sous la table, à jouer et à écouter, et le mot «Tchernobyl» revenait très souvent. Il était, à mes yeux d’enfant, plein de mystères. Je ne comprenais pas le malheur que cela représentait à l’époque, mais j’étais content de ces réunions d’adultes auxquelles j’assistais en cachette. J’ai gardé le mot en mémoire.

Votre père avait donc été parmi les premiers à y aller ?

M.K. : Dès le premier jour de l’explosion, il s’est porté volontaire pour aller éteindre l’incendie. Treize ans plus tard, il est mort, sa santé très abîmée par ce geste.

Vous trouvez ce comportement héroïque ?

M.K. : Complètement. Mon deuxième livre, qui sort en ce moment en Ukraine, lui fait une large place. C’est une uchronie, un livre de politique-fiction qui imagine ce qui se serait passé si les décontaminateurs n’étaient pas entrés en scène et qu’il avait fallu déplacer Kiev vers une autre partie de l’Ukraine.

Vous n’avez pourtant jamais milité contre le nucléaire ou été proche des mouvements écologistes ?

M.K. : Non. Ce combat ne m’intéresse pas. Je ne suis pas spécialiste de l’écologie et n’ai rien à en dire de particulier.

« J’ai eu envie d’explorer cette terre inconnue qui devenait pour moi le lieu le plus exotique au monde. »Et vous avez tout de suite voulu vous rendre à Tchernobyl ?

M.K. : Après l’enfance, ma fascination pour le mot a disparu. L’adolescence est toujours non conformiste et se construit contre ce qu’on vous a appris. Tchernobyl était très présent chez moi, je l’ai alors rejeté. Puis, tel père tel fils, à 20 ans, la fascination m’est revenue et j’ai abordé le sujet par d’autres biais. Je ne me suis pas intéressé au passé, à ce qui s’était vraiment passé, aux conséquences ou au «problème» nucléaire. Mais j’ai eu envie d’explorer cette terre inconnue qui devenait pour moi le lieu le plus exotique au monde. Bien sûr, je n’ai commencé à comprendre l’endroit qu’après des années d’exploration.

Pénétrer dans la zone contaminée relevait du même héroïsme que celui qu’avait montré votre père, c’est cela ?

M.K. : Non, du tout. Il serait même ridicule de le penser.

Le danger des radiations ne vous retient pas ?

M.K. : On ne sait toujours pas exactement quel est l’impact de la radioactivité à faible dose, et je me contente de marcher, parfois de boire de l’eau. De toute façon, quel que soit son niveau d’information, celui qui passe un peu de temps dans la zone se fait forcément avoir. Rapidement, il oublie les précautions, il boit de l’eau, se lave, consomme des champignons ou des plantes trouvés sur place. C’est stupide, mais personne n’y échappe. La peur existe au début, mais elle disparaît assez vite. Au bout de quelques visites, on est très décontracté. Comme si on était ailleurs, sauf qu’ailleurs, c’est moins bien. En fait, je n’y pense pas quand je vais dans la zone.

(…)

>> La Zone, de Markiyan Kamysh, Arthaud, 172 p., 16 €

 

>> Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans Marianne en kiosques.

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