La tentation centriste

La mise sur orbite de la fusée Macron s’accompagne, comme toute tentative centriste, d’une idée fausse : le clivage gauche/droite serait une bizarrerie française. Seulement, une candidature qui ne se voudrait ni de droite ni de gauche serait une candidature hors sol, propre à séduire les Gracques, Alain Minc ou Jacques Attali. Insuffisant pour gouverner la France.

Gauche contre droite, un clivage dépassé ? La mise sur orbite de la fusée Macron s’accompagne, comme toute tentative centriste, du retour d’une idée-force qui est aussi une idée fausse : à savoir que le fameux clivage, la summa divisio (René Rémond) entre la gauche et la droite est une bizarrerie française, une vieillerie historique devenue artificielle et sans rapport avec les problèmes de notre temps.

Quand un préjugé bénéficie à la fois de l’ancienneté et du consensus général, il ne se rend jamais, pas même à l’évidence. Or l’évidence, c’est que le fameux clivage n’est pas une spécialité française, mais bel et bien le principe organisateur de la démocratie. Pas de démocratie sans alternance, c’est-à-dire sans possibilité, pour l’électorat mécontent de l’équipe gouvernementale sortante, de lui substituer une équipe d’opposition.

C’est pourquoi, dans toute assemblée délibérante, il y a une tendance naturelle à se scinder en deux selon un schéma immuable : blancs contre rouges, conservateurs contre progressistes, parti de l’ordre contre parti du mouvement, comme aimait à dire François Goguel, ou tout simplement droite contre gauche, conformément à l’appellation française qui a triomphé un peu partout.

Emmanuel Macron a raison de dire qu’il existe aujourd’hui des conservateurs et des progressistes à l’intérieur de chacun des deux camps, à condition de s’entendre sur les mots. Admettons même un instant son présupposé implicite, à savoir que les vrais progressistes sont dans chaque camp les modérés. Autrement dit, la gauche de la droite et la droite de la gauche.

Problème : faut-il pour autant faire la Sainte-Alliance de tous les « progressistes » contre tous les « conservateurs », gauche radicale d’un côté, nationalistes et lepénistes de l’autre ? Ce fut de tout temps la thèse centriste, telle que l’a développée François Bayrou avant Emmanuel Macron, telle que l’a pratiquée la Troisième Force sous la IVe République. Il s’agit de réaliser, en coupant les deux bouts de l’omelette, le rassemblement central des « honnêtes gens ». C’est une perspective séduisante, le « juste milieu », ou « cercle de la raison », paraît avoir pour lui le bon sens.

Question : pourquoi cela ne marche-t-il jamais ? D’abord parce que la formule centriste se condamne elle-même à affronter une double opposition, l’une d’extrême droite, l’autre d’extrême gauche. Demandez-en donc des nouvelles à François Hollande : c’est très inconfortable.

Ensuite parce qu’en bannissant a priori de l’arc gouvernemental la gauche radicale et la droite radicale, elle fait de tous leurs électeurs des citoyens hors système, des bannis de la loi du milieu. Le régime, dont les soutiens se réduisent bien vite au tiers de l’électorat, ne peut y résister longtemps.

Enfin parce que la formule centriste ne permet pas d’alternance démocratique normale. Elle fait de tout mécontent un extrémiste, obligé pour s’exprimer de se jeter dans les bras de l’un ou l’autre des extrêmes. Comme on l’a vu à la fin de la IVe République, toute sortie de crise suppose un recours extraparlementaire. Et l’on n’a pas toujours un Charles de Gaulle à sa disposition.

Bien. Mais que faire quand le système est bloqué, soit parce que les partis au pouvoir sont complètement déconsidérés – on vient de le voir en Autriche -, soit parce que les zizanies internes à chacun des camps interdisent le bipartisme ordinaire ? Tel est le cas aujourd’hui en France : impossible d’imaginer une synthèse gouvernementale à gauche entre hollandais et antihollandais, à droite entre libéraux (Les Républicains) et nationalistes (le FN). Impossible de s’en sortir par des contes à dormir debout, de jour comme de nuit.

Il ne reste qu’un recours, celui que la sagesse gaullienne nous a fourni : l’élection présidentielle, en vérité la seule échappatoire à la tendance naturelle des Français à s’exterminer mutuellement. Si les partis se montrent incapables d’élaborer entre eux un contrat gouvernemental à vocation majoritaire, il est en revanche loisible aux Français de se mettre majoritairement d’accord sur une personnalité reflétant pour partie la diversité de leurs aspirations.

Le scrutin présidentiel à deux tours est donc avant tout un réducteur des contradictions existant dans la société ; il ne faut donc pas trop en vouloir aux plus marquants des présidents de la Ve, de Gaulle, Mitterrand, le Giscard des deux premières années, de leurs propres ambivalences : c’est à ce prix qu’ils ont permis à la France de vivre dans la paix politique.

Un bon président doit donc avoir en lui quelque chose du camp d’en face ; mais aucun d’entre eux n’a jusqu’ici commis l’erreur, en s’extrayant complètement de la compétition droite-gauche, de se couper d’une base solide. Une candidature qui ne se voudrait ni de droite ni de gauche serait une candidature hors sol, propre à séduire les Gracques, Alain Minc ou Jacques Attali. C’est tout de même insuffisant pour gouverner la France. Aussi bien n’y a-t-il jamais eu en France de président centriste.

Selon qu’il saura ou non maîtriser ce double impératif d’enracinement dans un camp et de dépassement de l’horizon partisan, la tentative en cours d’Emmanuel Macron prendra la forme d’un ballon d’essai ou d’une bulle de savon.

 

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