TV Libertés, la webtélé des ultra-réacs qui se rêve en "Fox News à la française"

Ce média alternatif fondé par des anciens du Front national s’est imposé dans la « réacosphère » depuis sa création en 2014. Sous ses allures de chaîne neutre et professionnelle, TV Libertés fustige les « commentateurs officiels » et défend une ligne résolument identitaire.

« Madame, Monsieur, bonsoir. » Non, vous ne regardez pas le journal télévisé de TF1, mais celui de TV Libertés, diffusé quotidiennement sur YouTube et les réseaux sociaux. A première vue, rien que de très journalistique : les présentateurs enchaînent les sujets, le ton est posé et semble neutre. Mais très vite, le traitement très particulier de l’actualité met la puce à l’oreille. On parle de Nuit debout comme d’un mouvement qui « se démarque surtout par le vide idéologique de ses sympathisants » et bénéficie d’« un traitement de faveur qui contraste avec la répression policière » dont seraient victimes les identitaires de Calais. Quand on évoque la baisse du chômage, c’est pour pointer un « nouveau tour de passe-passe du gouvernement » et « les centaines de milliers d’immigrés clandestins ou non » qui viendraient gonfler des statistiques forcément faussées.

On salue les déclarations du président hongrois, Viktor Orban, lorsqu’il s’oppose à « la politique migratoire folle de l’Union européenne ». On prononce « François Mitrand » et on appelle le FN « le parti patriote ». Et, sans surprise, on n’apprécie pas tellement les « médias classiques » et les « commentateurs officiels ». Surtout Canal+, inévitablement présentée comme le « temple du boboïsme et de la bien-pensance »

Fondée par trois anciens du FN

Bienvenue sur TV Libertés, sorte de mini-BFM 100% réac, qui dispense sur le web sa vision revue et corrigée de l’actualité. Créée début 2014, la chaîne a fait son trou dans le petit monde de la « réacosphère », revendiquant 30.000 visiteurs uniques par jour. Elle apparaît désormais comme le pendant télévisuel de la vieillissante Radio Courtoisie, antenne traditionnelle de l’extrême droite, dont elle a d’ailleurs récupéré plusieurs animateurs. Jean-Marie Le Pen lui a donné un joli coup de pouce en février dernier, en apparaissant à l’écran affublé d’un masque de carnaval. Ramdam assuré sur le web ! L’idée était du fondateur du FN lui-même. « Quand il m’a dit que ça allait faire du buzz, je n’étais pas du tout convaincu, mais toute la presse mainstream l’a repris », se souvient Martial Bild, l’un des fondateurs de TV Libertés, interrogé par Marianne. Outre le sketch de Le Pen, quelques autres invités ont permis à la chaîne de dépasser les 100.000 vues : des têtes d’affiche comme Philippe de Villiers, mais aussi des personnalités dont la notoriété ne dépasse pas les milieux d’extrême droite, comme l’essayiste Pierre Jovanovic ou feu le journaliste Emmanuel Ratier.

« TV Libertés s’est installée dans le paysage », se félicite Jean-Yves Le Gallou, qui a participé à sa création. Normal : cet énarque et ancien haut fonctionnaire, eurodéputé FN dans les années 90, est devenu le chantre de la « réinformation », cette nébuleuse de sites ancrés à l’extrême droite qui s’est fait une spécialité de contester « les médias de propagande, subventionnés ou dirigés par des oligarques financiers », dixit Le Gallou. TV Libertés est aujourd’hui dirigée par deux autres anciens cadres frontistes, Philippe Milliau et Martial Bild. Le premier, qui préside la chaîne, est un ancien du Bloc identitaire, dont il a été exclu en 2012. Le second, qui supervise la rédaction, a été membre du FN pendant près de 30 ans. La com’ et les médias, ça le connaît : « Il y a une vingtaine d’années, il s’occupait de la rédaction de Français d’abord, le mensuel du Front », se rappelle Bruno Gollnisch, ancien numéro 2 de Jean-Marie Le Pen.

Parmi les invités : Marion Maréchal-Le Pen, Christine Boutin, Ivan Rioufol, Nicolas Dupont-Aignan mais aussi l’ultra-libéral Gaspard Koenig.Aujourd’hui, les trois anciens cadres roulent à leur compte. Et n’allez pas faire des amalgames en les soupçonnant de porter la bonne parole frontiste… « Nous ne sommes la chaîne d’aucun parti politique », jure Martial Bild, qui définit TV Libertés comme « une chaîne de toutes les droites », ayant à cœur « la défense de l’esprit français et de la civilisation européenne ». Le casting des intervenants reflète cette ligne identitaire. Parmi les invités les plus renommés, citons Christine Boutin, l’ex-frontiste Bruno Mégret, l’éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol ou l’intellectuel « ethno-différentialiste » Alain de Benoist. Mais TV Libertés parvient à ratisser un peu plus large. Plusieurs députés de droite ont fréquenté son plateau, comme Nicolas Dupont-Aignan, Hervé Mariton ou Thierry Mariani. Plus étonnant, on y a aussi aperçu Gaspard Koenig, à la tête du think-tank ultra-libéral Génération Libre.

Gilbert Collard présentateur

Côté FN, plusieurs cadres ont accepté de passer devant les caméras, tels les eurodéputés Nicolas Bay, Louis Aliot et Bruno Gollnisch. Plutôt des adeptes de la ligne Marion Maréchal-Le Pen que de celle de son rival en interne, Florian Philippot. La députée du Vaucluse a elle-même participé en avril 2015 à l’émission « Bistro Libertés », sorte de Ce soir ou jamais ! où l’on cause entre réacs. Surtout, Gilbert Collard, qui n’a pas sa carte au FN mais dirige le Rassemblement Bleu Marine, présente depuis janvier une émission sur TV Libertés. « C’est le seul espace où j’ai trouvé le moyen de parler de littérature. Mais si France Inter me donne une chronique, je prends tout de suite ! » explique à Marianne le député du Gard, qui précise être bénévole. Dans « Livre Libre », Gilbert Collard s’improvise en François Busnel et bavarde pendant une petite demi-heure avec un auteur. Après visionnage, on doit bien constater que la conversation tourne souvent autour de l’islam, de « l’immigration catastrophe » ou du « racisme anti-Blancs ». Mais « si un auteur de gauche ou d’extrême gauche veut venir, je ne demande pas mieux ! » assure l’animateur en herbe.

En revanche, Marine Le Pen – comme son numéro 2 Florian Philippot – n’a jamais honoré TV Libertés de sa présence. La direction frontiste se méfierait-elle de ce genre de média, pas forcément raccord avec la dédiabolisation ? « Marine Le Pen est invitée, elle viendra le jour où elle l’aura décidé. Il n’y a aucun problème avec ça », assure le très courtois Martial Bild, qui en profite pour lancer d’autres invitations : « J’aimerais avoir Nicolas Sarkozy et François Fillon, mais je ne suis pas demandeur d’Alain Juppé. » Toutes les droites, donc, mais plutôt quand elles sont bien à droite…

« Financement participatif »

TV Libertés se distingue de ses petits camarades amateurs de la « réacosphère » par ses moyens et son personnel. La chaîne, qui a un statut d’association, compte « cinq ou six permanents », selon la direction, et fait aussi appel à des « prestataires externes ». Les plateaux d’enregistrement n’ont pas grand-chose à envier à certaines chaînes de la TNT. Mais la plupart des sujets diffusés sont des montages d’images piochées ici et là, et la qualité du son laisse parfois à désirer. « Quand une équipe fait un reportage à Calais, elle y va en BlaBlaCar », sourit Jean-Yves Le Gallou, qui indique que le modèle économique repose uniquement sur « une multitude de petits et de moyens donateurs ».

Un « financement participatif » qui porte ses fruits, à en croire Martial Bild, qui affiche ses ambitions : « Nous avons construit un deuxième studio. Nous souhaitons maintenant aller sur les câblo-opérateurs. L’idée, c’est d’être la petite Fox News à la française, toutes proportions gardées évidemment.«  Fox News, la chaîne préférée des républicains américains, où l’on invite des experts assurant qu’il existe des « no-go zones » à Paris. Juste pour vous donner une idée.

 

  Retrouvez Marianne sur notre appli et sur les réseaux sociaux :

Marianne sur App Store   Marianne sur Google Play

Marianne sur Facebook   Marianne sur Twitter   Marianne sur Instagram

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply