La politique de l'Autriche

Après la victoire de l’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle autrichienne, ce n’est pas le seul paysage politique autrichien hérité de la guerre qui se retrouve à terre. Non. C’est aussi le nôtre.

Sacrées autruches ! La légende que n’inventa pas Rudyard Kipling dans Histoires comme ça veut que ces énormes volatiles à la chair raffinée s’enfouissent la tête dans le sable dès que le danger se présente sous la forme d’un prédateur affamé. Sacrés politiques, nettement moins comestibles, qui adoptent pourtant la même pratique parce qu’ils refusent d’affronter l’adversité. Ils s’imaginent ainsi que celle-ci disparaîtra d’elle-même comme par enchantement. Le malheur, c’est que cette attitude est de plus en plus fréquemment observée. L’actualité immédiate vient de nous fournir deux « beaux » exemples de ce comportement pour le moins puéril.

Dimanche 24 avril, l’extrême droite est arrivée en tête en Autriche au premier tour de l’élection présidentielle en recueillant 36 % des voix. Triomphe du FPO et déroute humiliante de la gauche et de la droite parlementaires éliminées du second tour. Beaucoup de raisons ont été avancées pour expliquer cette secousse sismique au cœur de l’Europe. Le candidat était courtois, plus jeune que ses adversaires, moins radical (du coup, on apprend qu’il existe une extrême droite modérée comme il y eut jadis des islamistes modérés), il était ingénieur, etc. Reste que, comme le rappelle le Monde du 25 avril, le « tranquille » Norbert Hofer a fait toute sa campagne avec un pistolet à la ceinture, une réaction naturelle à ses yeux, face à « la crise migratoire ». Ce politique donc sehr korrekt veut dissoudre le Parlement si ce dernier n’adopte pas ses « remèdes » face à l’immigration et a pour obsession d’abolir la loi de 1947 interdisant la constitution en Autriche d’un parti nazi. Pas de quoi s’énerver, estime-t-on à Vienne, Bruxelles ou Paris, du moment qu’il n’intervient pas dans la fabrication de la Sachertorte

Ce n’est pas le seul paysage politique autrichien hérité de la guerre qui se retrouve à terre. Non. C’est aussi le nôtre. On a sans doute un peu trop vite oublié les scores jadis spectaculaires de Jorg Haïder qui avaient conduit à l’entrée de l’extrême droite autrichienne au gouvernement. C’était deux ans avant le 21 avril 2002. Mais, surtout, ne voyons rien et acceptons. Vienne, c’est loin. Que le microcosme continue de débattre pour savoir s’il est préférable pour François Hollande de passer par la case primaire de la gauche ou de se faire adouber à l’issue d’un conseil national au deuxième sous-sol de l’Assemblée nationale. Voilà qui est enivrant. Au secours !

Erdogan, cet insultant sultan. Non content de poursuivre les journalistes turcs qui pointent l’extravagant niveau de corruption du régime d’Ankara, le potentat du Pont-Euxin et autres lieux étend ses poursuites contre les journalistes européens qui osent contester sa politique. Cela ne semble guère émouvoir les autorités de Bruxelles, pourtant si sourcilleuses quand il s’agit de droits de l’homme. Face au colérique tyranneau du Bosphore, elles sont plus aplaties qu’une carpette de la Mosquée bleue.

Heureusement, la ville de Calvin a sauvé l’honneur. Les autorités de Genève ont annoncé, mardi 26 avril, qu’elles refusaient de retirer d’une exposition une photo dérangeant la Turquie sur laquelle des manifestants accusent Recep Tayyip Erdogan d’être responsable de la mort d’un adolescent turc, Berkin Elvan. Ce qui est bien le cas, la répression policière devenant de plus en plus sanglante. Surtout ne pas fâcher notre « allié » Erdogan. Surtout ne pas l’indisposer alors que ses amis politiques essaient par tous les moyens de gommer le caractère laïque de l’Etat turc au détour d’une discussion sur la nouvelle constitution. Parallèlement à ces coups de boutoir, les islamistes au pouvoir poursuivent un vrai travail de sape, en autorisant le port du voile dans la fonction publique ou en créant des mosquées au sein des enceintes universitaires, comme si la Turquie en manquait ! Le 14 avril dernier, le Parlement européen, sur proposition chypriote, a adopté l’initiative de faire du turc l’une des langues officielles de l’UE et d’« accélérer le processus ».

Le tableau serait incomplet sans évoquer le génocide arménien. Un crime effroyable perpétré sur le territoire de l’Empire turc et ourdi depuis plusieurs décennies. Un crime longtemps nié – l’histoire est faite toujours par les vainqueurs et parfois par les bourreaux –, puis minoré, escamoté avant d’être reconnu depuis dix ans par une partie de la société civile turque, cette société menacée actuellement par les menées folles d’Erdogan. Menacée, car cette obsession arménienne est encore bien vivace. Qui s’est soucié du sort de la ville de Kessab, située dans le nord de la Syrie, dernier foyer arménien rescapé du génocide de 1915, peuplée presque exclusivement d’Arméniens, quand elle fut attaquée par les djihadistes avec le soutien de la Turquie d’Erdogan ? Menacée, car la reconnaissance du génocide arménien couvre bien d’autres passes d’armes, dont nous ne prenons pas assez conscience ici, sur les Alévis, les Kurdes, la place de prépondérante de l’islam sunnite. C’est dire si cette question arménienne embrasse celle de l’humanité tout entière et pas seulement du seul peuple arménien.

 

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