Les souvenirs sont au centre de son œuvre. Avec « Mémoire de fille », Annie Ernaux s’efforce de rencontrer la jeune femme qu’elle était en 1958. Au moment de vivre une étape cruciale dans sa vie.
Marianne : Votre nouveau récit, Mémoire de fille (1), revient sur un épisode de votre vie que vous avez tu pendant presque soixante ans. Pourquoi être restée si longtemps sans parvenir à raconter votre été 1958 ?
Annie Ernaux : Mémoire de fille est un livre auquel j’ai longtemps pensé sans parvenir à l’écrire, non pas à cause de la difficulté du sujet, mais à cause de la difficulté de l’écriture. Il s’agissait de raconter ma première nuit avec un homme, l’effarante découverte du sexe, mais aussi l’entrée dans le monde, quand on sort, comme c’était mon cas, d’une petite ville, d’un pensionnat catholique, qu’on est soumise à la surveillance d’une mère qui interdit toute fréquentation des garçons. Dire ce passage dans un monde inconnu, mixte, et la violence qu’a été cette rencontre avec d’autres jeunes, à la colonie où j’étais la plus jeune des monitrices. Il me fallait aussi évoquer cette année de philo au lycée, que j’avais tant désirée. Or, dans cette « école d’avant » qu’on célèbre, il n’y avait qu’une fille d’ouvrier et une fille de petit commerçant, moi. A côté des autres, de milieu privilégié, qui iraient « naturellement » à la fac ou en prépa, c’est tout aussi « naturellement » que je me suis destinée à être institutrice, en passant le concours de l’Ecole normale, à choisir un métier pour lequel je n’avais aucune capacité. Ce sont ces questions-là, cruciales à l’adolescence « Comment se conduire quand on est une fille ? » et « Que faire dans la vie ? » qui sont au cœur du livre.
Qu’est-ce qui a rendu alors possible aujourd’hui d’écrire ce livre ?
A.E. : Après avoir fini le livre les Années, il y a huit ans, il était pour moi impossible de reculer, c’était le texte que je devais coûte que coûte écrire, le texte « manquant », en somme. Mais ça m’a pris beaucoup de temps encore pour trouver la forme, accepter de dissocier « la fille de 58 », elle, donc, et « je », la femme de 2013, qui écrit. Pour concevoir le livre comme une recherche de cette fille d’il y a plus de cinquante ans.
Cette fille, vous avez voulu vous en détacher ou la retrouver ?
A.E. : Je crois que je voulais la sauver, sauver ce qui a été vécu…
(…)
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(1) Mémoire de fille, d’Annie Ernaux, éditions Gallimard, 154 pages, 15 euros.
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