La faute à Hollande

Que signifie cette litanie qui a pour nom « la faute à Hollande », sinon que nous sommes tous innocents, tous victimes ? Que sans l’incompétence, voire la « trahison », du guide suprême nous serions tous heureux dans un pays qui baigne dans l’opulence, qui vit dans l’optimisme et déborde d’énergie ? Seulement voilà, il y a Hollande !

De Dunkerque à Perpignan, de Neuilly à la place de la République, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, ce n’est qu’un cri : la France est mal gouvernée ! Et à cause de ce malgoverno, comme disent les Italiens, nous sommes très malheureux !

Ce long gémissement qui parcourt comme un frisson la France entière est en train de devenir, dans un pays qui chaque jour part en sucette, la dernière forme du lien social : c’est lui, et lui seul, qui réunit les paysans et les fonctionnaires, les professeurs et les parents d’élèves, les juges et les avocats, les notaires et les descendants d’esclaves, les motards et les intellectuels. Je ne vois guère que les ouvriers, manœuvres, OS, comme on disait jadis, à ne pas se plaindre quotidiennement de leur sort. Il faut croire que l’on a fait beaucoup, beaucoup pour eux, plus en tout cas que pour ces tristes patrons, plus que pour ces malheureux banquiers qui sont au premier rang des éplorés dans cette vallée de larmes…

Quand la France de la « diversité » (pour ça, oui) se refait un semblant d’unité sur le dos de son président, quand les chiffres publiés dans les médias ressemblent plus à un lynchage qu’à un sondage, il faut s’interroger : en piétinant Hollande, qu’est-ce donc au-delà de Hollande que les Français sont en train de se cacher à eux-mêmes ?

Quoi ! L’Ancien Régime a trouvé des défenseurs sous la Révolution, et la Révolution sous la Restauration ; la République a fait de même sous la monarchie et la monarchie sous la République ; de Gaulle a eu ses partisans sous Pétain, et Pétain en a conservé sous de Gaulle, et il n’y aurait personne, absolument personne aujourd’hui pour prendre la défense de Hollande ? Je dis que cette unanimité est louche, qu’elle est une étape nouvelle, et fort inquiétante, de ce long processus par lequel les Français ont entrepris, depuis la mort de De Gaulle, de se cacher la vérité à eux-mêmes.

Que signifie cette litanie qui a pour nom « la faute à Hollande », sinon que nous sommes tous innocents, tous victimes ? Que sans l’incompétence, voire la « trahison », du guide suprême nous serions tous heureux dans un pays qui baigne dans l’opulence, qui vit dans l’optimisme et déborde d’énergie ? Seulement voilà, il y a Hollande ! Un seul être nous manque et tout est détraqué ! Et nous mordons à de pareilles craques ! Et nous feignons de croire qu’une bonne primaire va nous dénicher le bon candidat, qui fera enfin la bonne politique ! On rêve. Je dis que la «bouc-émissarisation» de François Hollande constitue une rechute volontaire dans l’infantilisme national le plus désolant.

Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de m’attendrir sur l’épreuve personnelle d’un homme. Quiconque fait acte de candidature à la présidence doit savoir qu’il existe, inscrite à l’encre sympathique sur la façade de l’Elysée, une devise qui est celle-là même de l’enfer dans le poème de Dante : «Vous qui entrez ici, quittez toute espérance !»

Je ne lui cherche même pas d’excuses, tant les exemples d’opérations lamentablement ratées se précipitent sous la plume. Ainsi, comment donner, pendant toute une campagne, à une fiscalité punitive de 75 % sur les hauts revenus la valeur d’un symbole et capituler à la première anicroche juridique ? Comment escamoter piteusement, devant la mobilisation des Bretons, une écotaxe votée à l’unanimité ? Comment annoncer à son de trompe la fin du département et finir par un simple regroupement des régions ? Comment, de la réforme des rythmes scolaires, qui devait renforcer les fondamentaux de l’éducation, accoucher du développement du macramé et du tir à l’arc ? Comment faire de la déchéance de nationalité pour les terroristes – j’en reste partisan – un symbole de la détermination de la France et la retirer précipitamment sous les huées ?

Non, ce n’est pas possible. Une seule question tout de même : êtes-vous sûrs que les Français eux-mêmes n’ont rien à se reprocher dans tous les cas que je viens de citer ? Mais il y a encore plus fort. Comment ne remarque-t-on pas que les grandes lignes de la politique du président le plus impopulaire de la Ve République sont massivement approuvées par les Français ?

Non, je ne fais pas du paradoxe de comptoir. Je tiens ici le pari que le futur président – soit Hollande ou Valls à gauche, voire Montebourg ; Juppé ou Sarkozy à droite, voire Le Maire ; Macron ou Bayrou au centre, voire Hulot – reprendra pour l’essentiel la même politique dans tous les grands domaines : libéralisation poussée de l’économie, réindustrialisation, réduction de la dette, allègement de la fiscalité, maintien du système social français, guerre contre Daech, alliance privilégiée avec l’Allemagne.

Et pourquoi cela, s’il vous plaît ? Parce que, sur chacun de ces points, la politique poursuivie par Hollande est majoritaire dans l’opinion, chacun des sondages qui paraît le prouve, autant que son abyssale impopularité ! Je conclus provisoirement, car il faudra y revenir, il y a dans l’hallali contre Hollande quelque chose qui me déplaît, car l’homme manifeste dans une telle épreuve un courage remarquable. Il y a ces trop nombreux journalistes qui ne connaissent à l’égard du pouvoir que deux attitudes : le prosternement ou le lynchage.

Mais il y a pis : il y a le risque, en cette année préélectorale, de voir la chasse à l’homme se substituer à la quête des solutions. Il y a ce trouble dans l’âme française, dont le Hollande bashing, comme on dit en français, n’est que le misérable symptôme. Il y a surtout que je ne voudrais pas que nous nous fassions les dupes de nos propres subterfuges. C’est essentiel, si nous voulons réinventer un avenir pour ce pays. «Dixi, et salvavi animam meam» («Ce disant, j’ai libéré ma conscience»), in Critique du programme de Gotha, de Karl Marx.

>> Cet éditorial est paru dans le numéro de Marianne en kiosques du 22 au 28 avril inclus.

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