EXCLUSIF – Les vrais chiffres de Bygmalion en 2012, qui mettent à mal la défense de Sarkozy

L’enquête sur le financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 progresse à grand pas. « Marianne » s’est procuré l’expertise indépendante qui étudie les comptes et les marges de la société Bygmalion et de ses prestataires. Conclusion : aucune prestation n’a été surévaluée au cours de la campagne. Plus surprenant, les marges de l’autre société ayant travaillé sur la campagne sont plus importantes…

C’était une expertise attendue. Réclamée en juillet dernier par les défenseurs de l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy – le préfet Guillaume Lambert, mis en examen sur le dossier -, elle devait vérifier une fois pour toutes (les enquêteurs avaient procédé préalablement aux vérifications nécessaires) que la société Bygmalion, via sa filiale d’événementiel Event & Compagnie, ne s’est pas enrichie en surfacturant les meetings qu’elle organisait pour la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Avec cette expertise, c’est donc l’un des derniers arguments de la défense de l’ancien chef de l’Etat, et de ses proches, pour expliquer le dépassement des dépenses autorisées de sa campagne, qui tombe.

En février dernier, Nicolas Sarkozy, lors de sa mise en examen devant le juge Serge Tournaire, avait pourtant soutenu que si fraude il y avait eu, il fallait regarder du côté de Bygmalion, et des proches de Jean-François Copé – qui n’est pas mis en examen dans cette affaire – et non du côté de l’organisation de sa campagne. Une défense politique aujourd’hui particulièrement mise à mal. Comme Marianne l’avait expliqué à plusieurs reprises depuis deux ans, la double facturation mise en place au cours de la campagne a bien servi à maquiller les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.

Event & compagnie, des marges habituelles pour le secteur

Marianne a pu consulter intégralement la longue conclusion de ce rapport d’expertise de 140 pages. Concernant Bygmalion, tout y est. Marges brutes et nettes, comparaison avec d’autres entreprises du secteur, et réalité de la comptabilité de la société et de son résultat net. L’expert est très clair : certes confortable, la marge brute d’Event & Compagnie, environ 27,4 %, pour les prestations fournies au cours de la campagne de Nicolas Sarkozy, est comparable à la marge brute du secteur comprise « entre 25 % et 35% ». Par marge brute, il faut entendre, la marge après paiement aux sous traitants mobilisés par Event & Compagnie pour l’organisation des meetings :

Facturation Event & Compagnie

 À l’Association de Financement de la Campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS)

  À l’UMP

Total

Hors Taxe

3.346.423

15.515.197

18.861.620

TTC

4.002.321,91

1.8556.175,94

22.558.497,85

 

Selon l’expertise, les coûts supportés au cours de la campagne par Event & Compagnie se montent à 13.690.464,24 euros hors taxes, payés aux différents prestataires, soit une marge brute de 5.171.155,76 euros hors taxes.

Entre 42% et 63% de marge pour Agence Publics !

Suite à un supplétif des juges d’instruction datant d’octobre dernier, l’expert s’est également intéressé aux marges réalisées par l’autre société qui a travaillé pour la campagne de Nicolas Sarkozy, Agence Publics, qui a co-organisé avec Event&Compagnie, les trois grands meetings de la campagne : Villepinte, Concorde et Trocadéro. Dans la conclusion du rapport, les coûts supportés par Agence Publics sont présentés de cette manière : pour une facturation totale de 3.266.103 euros TTC, dont 1.817.029 euros facturés à l’UMP (meeting de Villepinte), les coûts se partagent entre des coûts « externes » de 1.215.121 euros et des coûts « internes (frais généraux et personnels) » de 678.437 euros, soit une marge de 1.372.545 euros, ce qui fait 42% environ ! Et si l’on s’en tient au calcul de marge brute effectuée comme pour la filiale Event & Compagnie de Bygmalion, celle d’Agence Publics s’élève donc à 2.050.982 euros, soit près de 63% !

L’expert mandaté par le juge d’instruction explique noir sur blanc ses difficultés pour mesurer réellement la marge au cours de la campagne d’Agence Publics, qui s’est occupée de « la partie scénique », et du « contenu » des trois grands meetings : « La vérification des coûts de personnel nécessiterait le contrôle, pour autant qu’il soit possible, des affectations des temps des personnels concernés », précise-t-il. Ajoutant : « Les marges des deux agences [Event & Compagnie et Agence Publics, ndlr] sont constituées très différemment, la part des prestataires externes étant sensiblement plus faible dans la facturation d’Agence Publics ». En effet, par « contenu », il faut entendre principalement la conception de la scénographie générale et la réalisation de clips vidéos utilisés pour ces grands meetings. « Il n’est de surcroît pas possible de distinguer chez Agence Publics une marge sur coûts externes et une marge sur coûts interne,s la facturation de l’agence étant globale », souligne également l’expert. Des éléments que les enquêteurs vont donc devoir éclaircir dans les prochains mois…

Quelques factures manquent au niveau des sous-traitants…

Concernant Event & Compagnie, l’expert a étudié de près les facturations des prestations réalisées par les trois principaux sous-traitants de la société d’événementielle – Leni, Match Event, et Côté Jardin – en comparant les factures et comptes saisis au cours de l’enquête et celles apparaissant dans la comptabilité de ses fournisseurs. Au total, ces trois sociétés prestataires représentent 58% des coûts externes d’Event & Compagnie. « J’ai constaté que les pièces saisies de factures correspondait aux détails indiqués dans les balances [documents comptables d’Event, ndlr] à l’exception des opérations suivantes (…) » : 410.474 euros HT ne sont pas identifié dans les pièces saisies. « Par ailleurs, je n’ai pas identifié dans les pièces saisies des pièces justificatives pour d’autres dépenses qui n’étaient pas censées être prévisionnelles dont le total s’élève à 312.460 euros HT ». Soit un total de 722.934 euros de prestations non identifiées par des factures, ce qui fait 12.967.530 euros de prestations avec des factures identifiées. L’expert a alors procédé à la comparaison des marges de ces prestataires d’Event avec la moyenne de celles d’autres sociétés du secteur, qui se monte à 26 %. Au final, les marges sont comparables.

Les résultats nets de Bygmalion sur trois années

Plus intéressant encore sont les détails de la comptabilité de Bygmalion sur trois années. 2012 est ainsi l’année où la marge de sa filiale Event & Compagnie est la plus faible. Mais surtout, la comptabilité permet d’analyser le résultat net de la société en 2012, et de le comparer sur d’autres exercices :

Comptes Bygmalion

31/12/13

31/12/12

31/12/11

Chiffre d’affaires

571.637 euros

20.112.514 euros

4.466.603 euros

Achats matières premières autres achats charges externes

479.606 euros

14.984.698 euros

3.276.080 euros

Marges sur coûts externes

16,10%

25,50%

26,7 %

 

Impôts et taxes

11.924

123.355

16.860

Charges personnels

259.495

349.191

298.325

Dotations aux amortissements

1.248

4.085

2.736

Reprise sur amortissements et provisions transfert de charges

4.260

3.135

1.560

Autres charges

1.099

53

/

Résultat d’exploitation

175.274

4.654.267

874.164

Résultat financier

8.639

1.332

12.500

Impôt

/

1.589.197

280.444

Résultat net

166.635

3.066.401

581.220

 

Incontestablement, l’organisation de 48 meetings pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy a permis de gonfler fortement le chiffre d’affaires de Bygmalion, ainsi que son résultat net, qui représente 15,23% de son chiffre d’affaires en 2012. Mais au regard des dépenses externes et internes, ce bénéfice, certes confortable, est tout à fait comparable à d’autres sociétés d’événementielles. Bien sûr, les parties en présence au dossier (14 mises en examen) vont avoir à cœur de contester les conclusions de cette expertise indépendante rendue aux juges d’instruction en début de semaine. Pourtant, depuis plusieurs semaines, l’enquête des juges d’instruction s’oriente en réalité sur la société Akelys, cette société d’experts comptables qui a eu à formaliser les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. En début du mois, une nouvelle perquisition a eu lieu au siège de Les Républicains (la cinquième à cet endroit depuis le début de ce dossier !), qui pourrait révéler de nouvelles surprises dans ce dossier qui concerne le financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2012.

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