Ils révèlent des scandales et ils en payent le prix fort. Par une étrange duplicité, nos gouvernants ne font rien pour les soutenir ou les protéger. Pourquoi tant de lâcheté de la part des politiques ?
Les institutions européennes sont, on le sait, très souples : elles ne craignent pas le grand écart. Il suffit de regarder l’agenda de la semaine dernière. Le Parlement européen adoptait à Strasbourg une directive destinée à protéger le secret des affaires. D’ici à quelques années, les 28 pays membres sont invités à se doter d’une législation uniforme condamnant à la prison et à des amendes toute personne qui divulguerait des informations confidentielles sur son entreprise sans l’accord de cette dernière. Seuls les journalistes seront exemptés de poursuites judiciaires, sous conditions… La même semaine, à Bruxelles, la Commission européenne publiait un ronflant communiqué proclamant sa volonté d’instaurer « une plus grande transparence en matière d’impôt sur les sociétés ». Si les gouvernements et le Parlement européen sont d’accord, les grandes firmes opérant en Europe devront publier chaque année « des informations clés, pays par pays, sur le lieu où elles réalisent leurs bénéfices et celui où elles paient leurs impôts dans l’Union ». La mesure doit permettre de lutter contre l’évasion fiscale qui « coûte chaque année aux Etats membres entre 50 et 70 milliards d’euros de recettes fiscales », assure la Commission. Quelqu’un a-t-il remarqué, à Bruxelles comme à Strasbourg, que ce soudain coup de pression sur les multinationales est le fruit direct d’une violation… du secret des affaires ? Car c’est bien le scandale LuxLeaks – la révélation des pratiques douteuses d’optimisation fiscale auxquelles se livre depuis des décennies le grand-duché du Luxembourg – qui a contraint les autorités européennes à changer leur fusil d’épaule.
Le Grand-duché complice
En mai 2012, « Cash investigation », le magazine d’enquête de France Télévisions, s’attaque aux paradis fiscaux et lève le voile sur les pratiques des grands groupes au Luxembourg. Le journaliste Edouard Perrin s’appuie sur des documents explosifs du cabinet d’audit PriceWaterhouseCoopers (PWC) qui mettent au jour des montages financiers complexes grâce auxquels les firmes internationales – le cas de Wendel est décortiqué – réduisent leurs impôts via leurs filiales luxembourgeoises. Surtout, on apprend que cette optimisation fiscale ne se fait pas au nez et à la barbe du grand-duché, mais avec sa complicité, par des accords secrets – les fameux tax rulings – entre les services fiscaux et les entreprises. Le scoop de l’émission d’Elise Lucet déclenche un débat sur les largesses du Luxembourg… et le dépôt d’une plainte de PWC pour « violation du secret des affaires ». Deux ans plus tard, ce que l’on découvre dépasse l’entendement. Des médias réunis dans l’International Consortium Of Investigative Journalists (Icij), dont le Monde, publient 548 accords fiscaux négociés entre 2002 et 2010 par le cabinet PWC avec l’administration luxembourgeoise pour le compte de 340 entreprises : Apple, Amazon, Ikea, Pepsi, mais aussi, à un degré moindre, Axa, BNP Paribas ou le Crédit agricole. Gênant, car un mois plus tôt l’ex-Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, s’est fait élire à la tête de la Commission européenne.
Où en est-on aujourd’hui ? Juncker est toujours en poste, les instances européennes soufflent le chaud et le froid sur les acrobaties comptables des entreprises. Mais la justice luxembourgeoise, elle, ne dévie pas de son sillon. Le 26 avril, trois prévenus seront renvoyés en correctionnelle : deux anciens employés de PWC accusés, notamment, de «divulgation de secrets d’affaires», et le journaliste Edouard Perrin, considéré comme «coauteur ou complice». Les peines encourues sont lourdes : jusqu’à cinq années de prison et 1,25 million d’euros d’amende…
(…)
>> Retrouvez l’intégralité de cet article dans Marianne en kiosques.
>> Vous pouvez le consulter sur notre liseuse Web, grâce à nos offres d’abonnement numérique et intégral, ou encore le télécharger sur notre appli dédiée :
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments