Pour William Bourdon, l’avocat français d’Antoine Deltour, le lanceur d’alerte du scandale Luxleaks, il est urgent que les responsables européens créent un statut garantissant « une forme d’immunité des lanceurs d’alerte ». Preuve que le chemin est encore long, Antoine Deltour, qui sera jugé ce 26 avril par la justice luxembourgeoise, risque 5 ans de prison.
Marianne : A quelques semaines de l’ouverture de son procès, dans quel état d’esprit est Antoine Deltour ?
William Bourdon : Il est anxieux à l’approche de son procès. Il y a de quoi, théoriquement il risque 5 ans de prison pour avoir accompli un acte citoyen. Mais dans le même temps, il est serein et très encouragé par les nombreux soutiens, très intenses, pluriels, et provenant de nombreux pays, qu’il reçoit. Cela lui donne confiance.
Justement, François Hollande a récemment expliqué qu’il fallait « protéger » les lanceurs d’alerte. Pourtant, il est resté très silencieux sur le cas d’Antoine Deltour…
Ce tweet de François Hollande est bienvenu, mais il doit se traduire dans la loi, nous n’y sommes pas pour l’instant. Nous n’attendions aucune prise de position publique de l’exécutif français s’agissant d’un cas individuel. Cela aurait été perçu légitimement comme une forme d’ingérence et même, à mon avis, contreproductif pour Antoine Deltour. Par contre, ce qui a réconforté Antoine, ce sont ces messages de parlementaires ou d’intellectuels. Il a aussi reçu le Prix du citoyen européen en 2015 décerné par la vice-présidente du Parlement européen. Son action a consolidé l’urgence citoyenne d’imposer aux responsables politiques de lutter efficacement contre l’évasion fiscale, perçue de plus en plus universellement comme directement à l’origine de la privation de ressources publiques pour les Etats alors même qu’ils ne cessent de demander aux contribuables des sacrifices. Ceux-ci deviennent de plus en plus intolérables si, en miroir, les responsables se montrent faibles ou hypocrites dans leur volonté de lutter contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. Ceci dépasse largement les clivages politiques qui nous empoisonnent.
« 4 des 5 derniers grands scandales économiques ont été révélés par des lanceurs d’alerte »
« Que révèle le procès d’Antoine Deltour sur le statut des lanceurs d’alerte en Europe ?
Les choses ont évolué. Il y a quelques années, Antoine Deltour comme d’autres, aurait été traité de délateur, de traitre. Aujourd’hui, la notion de lanceurs d’alerte s’impose dans le débat public. Et avec les révélations spectaculaires, notamment Luxleaks, les législateurs européens mesurent bien qu’ils doivent consolider leur protection. Nous allons dans ce sens. Il faut bien comprendre que sur les cinq derniers grands scandales économiques, quatre ont été révélés par des lanceurs d’alerte. Ils sont l’unique espérance pour avoir accès à des informations cruciales face à une logique structurelle d’opacité de l’oligarchie financière. Mais nous devons franchir une nouvelle étape, notamment quand le lanceur d’alerte est un désobéissant (et ainsi lui accorder au cas par cas une immunité si c’est la condition pour lui permettre de révéler une information cruciale). S’agissant d’Antoine Deltour, il n’a pas dénoncé de crime ou de délit et ne pouvait donc pas être protégé dans la loi française qui ne vise que la révélation d’un crime ou d’un délit. Lui, n’a révélé qu’une grave atteinte à l’intérêt général – les « tax rulings » ne sont pas illégaux, puisqu’ils ont été réalisés avec la bénédiction de l’administration luxembourgeoise. Il faut donc créer un statut qui garantit une forme d’immunité des lanceurs d’alerte, pour les protéger au-delà de révélation d’un crime ou d’un délit, sinon nous risquons de priver nos démocraties de révélations décisives pour les faire respirer et les protéger.
N’y a-t-il pas une forme de paradoxe entre la prise de conscience de l’importance des lanceurs d’alerte et la volonté au niveau européen de renforcer le secret des affaires ?
Bien sûr. D’un côté, Antoine Deltour reçoit le prix du citoyen européen. De l’autre sur le papier, il risque 5 ans de prison. Partout en Europe on réfléchit à créer des statuts protecteurs pour les lanceurs d’alerte, simultanément l’Union européenne planche sur un projet de directive européenne pour criminaliser la violation du secret des affaires, ce qui est le rêve des lobbies financiers et le cauchemar des lanceurs d’alertes.
Qu’attendez-vous de ce procès et de la justice luxembourgeoise ?
Un jugement qui prenne en compte les bienfaits de son geste pour les contribuables et les responsables européens, mais aussi le métissage exceptionnel de deux qualités : le désintéressement et l’humilité. C’est ce qui lui permet d’avoir accès à l’universalité, ce que je n’ai rencontré que chez Antoine Deltour et Edward Snowden.
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