A 8.000 km de Nuit Debout, Mayotte est en ébullition

Mayotte, île française située entre le Mozambique et Madagascar, a entamé depuis le 30 mars dernier une grève générale qui paralyse à nouveau l’île, un peu moins de cinq ans après les grandes manifestations contre la vie chère de l’automne 2011. La population et les syndicats réclament notamment « l’égalité réelle » avec l’Hexagone.

Loin de « Nuit Debout », à plus de 8.000 kilomètres de Paris, Mayotte a entamé le 30 mars dernier une grève générale qui paralyse à nouveau l’île, un peu moins de cinq ans après les grandes manifestations contre la vie chère. Alors qu’il était question, à l’automne 2011, d’obtenir la baisse des prix des denrées de première nécessité, la population et les syndicats du 101e département français réclament aujourd’hui « l’égalité réelle » avec l’Hexagone : « L’alignement des prestations sociales, l’application du code du travail national » ou encore davantage de « moyens » pour lutter contre l’insécurité.

« Il faut vraiment comprendre cette injustice que nous impose le gouvernement », explique le secrétaire général de SNUD-FO de l’île dans une vidéo postée sur la page Facebook de Mayotte 1ère. « L’entêtement » de la France « à ne pas appliquer le droit commun à Mayotte », dénonce, toujours sur la chaîne publique, le secrétaire général Force Ouvrière. Les élus, (conseillers départementaux et maires) qui ont apporté, mercredi 6 avril, leur soutien à l’intersyndicale, soulignent à ce propos le fait que l’Etat ne dépense que 3.500 euros pour un citoyen à Mayotte contre 5.600 euros pour un citoyen de métropole.

Les barrages, désormais érigés du nord au sud de l’île, se sont multipliés ces derniers jours et ont durci le mouvement qui a laissé place, ce week-end, à des actes de vandalisme, des jeunes casseurs ayant notamment caillassé des automobilistes. « Pour l’instant, nous avons le soutien de la population, nous maîtrisons la situation, mais nous risquons d’être dépassés et ça sera la responsabilité du préfet, que nous suspectons de remonter des informations incomplètes à Paris », explique le secrétaire départemental SNUipp/FSU à l’AFP.

Manuel Valls et le préfet en ligne de mire

Si une rencontre avec le Premier ministre est prévue le 26 avril prochain, les grévistes ont déjà fait remonter leur mécontentement à Manuel Valls, dans un courrier daté du 1er avril. Ils évoquent, entre autres, le « mépris du préfet » qui n’a pas reçu l’intersyndicale, ce qui constitue, écrivent-ils, un « manque de respect indigne à la représentation de l’Etat ».

En visite officielle sur l’île le 13 juin 2015, Manuel Valls avait détaillé le plan stratégique « Mayotte 2025 » lancé par François Hollande en août 2014 lorsqu’il s’était lui-même rendu sur place. Un pacte qui prévoit de « doter le territoire mahorais de 320 millions d’euros », « auxquels s’ajoutent les 378 millions du contrat de plan Etat-région. » Et qui prévoyait également « le relèvement et l’alignement de plusieurs allocations » sur le niveau hexagonal. « Mayotte 2025 n’est ni un slogan, ni un mot magique », avait alors déclaré le Premier ministre, « mais une feuille de route pour les années qui viennent. C’est la preuve que la France a une grande ambition pour Mayotte ». Un discours qui n’a visiblement pas réussi à convaincre.

Mayotte, l’un des départements les plus pauvres d’outre-mer

De fait, la situation économique reste très fragile dans le département, l’un des plus pauvres d’outre-mer. Avec près de 220.000 habitants et un taux de chômage de 17,6%, Mayotte enregistre un PIB par habitant (6.575 euros) cinq fois moins élevé qu’en France métropolitaine. La moitié de la population vivait-elle avec moins de 384 euros par mois en 2011, selon la dernière étude de l’INSEE. Soit 84% de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, contre 16% dans l’Hexagone. Et les inégalités à Mayotte restent très fortes : les 10% des plus modestes déclarent en effet vivre avec moins de 87 euros par mois, contre plus de 1.230 euros pour les 10% les plus aisés.

A cela s’ajoute l’augmentation des prix des produits alimentaires, +0,8% en janvier dernier, bien que le coût de l’énergie ou encore des transports aient baissé. Et enfin, la pression migratoire. Chaque jour, des centaines de migrants, venus essentiellement des Comores voisines, débarquent sur l’île via les « kwassa kwassa », des petites embarcations surchargées, en vue majoritairement d’avoir accès au système de santé français. Sur les treize dispensaires de l’île, un patient sur deux est de fait clandestin, d’après une enquête de France 2. Face à l’afflux, Mayotte a reconduit en 2014, selon les chiffres officiels, près de 20.000 personnes aux frontières. Mais les passeurs, payés plusieurs centaines d’euros par passage (70 kilomètres séparent Mayotte des Comores) et les migrants eux-mêmes, sont toujours aussi nombreux.

La responsabilité des élus locaux

Une situation humanitaire et économique de plus en plus tendue qui engage la responsabilité des élus locaux. D’après un élu du Conseil général, cité par France 2, il y a à Mayotte une véritable « gabegie » dans la gestion des moyens alloués par l’Etat. Pour cet élu, il y aurait par exemple « trop »  d’« embauches de complaisance », notamment au service Communication du Conseil Général (quinze salariés y sont employés). Un « entre-soi » que dénonce dans un livre l’ancien directeur général de la Société immobilière de Mayotte (SIM), Mahamoud Azihary, après son éviction en 2015.

« A Mayotte le cercle de l’Entre-Soi », écrit-il, « s’inscrit dans un triangle formé par l’Etat local, les grands groupes (notamment du BTP et de la grande distribution) et d’élus ayant fait vœu de docilité face à l’Etat et de servilité face aux grands groupes ». « Or (leurs) intérêts sont la plupart du temps contraires au développement de Mayotte et au bien-être de sa population. » (…) « Le statut de « collectivité unique appelée département » » explique-t-il par ailleurs, « s’avère être un leurre avec un département sous-doté et une région qui ressemble à un mirage, bercé par des fonds structurels européens que le programme opérationnel, confié à l’Etat, a rendu fictifs » (…) « Quant aux préfets, à quelques exceptions près, ils se comportent véritablement en gouverneurs de colonie, tout en maintenant un système socio-économique proche de la Françafrique. On a l’impression qu’ils organisent le sous-développement et le chaos… »

 

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