Sur le plan des droits des personnes LGBT comme sur celui des femmes, plusieurs séquences récentes nous rappellent qu’en matière de droits de l’homme et de la femme, relativiser, c’est renoncer.
L’offensive paraît coordonnée, tant le mal gagne du terrain : ces derniers temps, une chape de relativisme s’abat sur les sujets sociétaux en France. La dernière salve en date a été tirée cette semaine par le vénérable Conseil de prud’hommes de Paris, qui a considéré qu’une manager insultant son employé de « PD », c’est injurieux, certes, mais pas homophobe.
Le raisonnement du Conseil pour aboutir à cette conclusion est d’une ineptie telle qu’on en reste coi. Certes, la manager en question avait bien écrit dans un texto, au sujet du plaignant : « Je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de putes« . Mais figurez-vous que « ce mec« , tout comme l’auteure du message, est coiffeur ! Voilà qui change tout, non ? Car « en se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, le Conseil considère que le terme de ‘PD’ employé par la manager ne peut être reconnu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes« . Un enfilage de clichés en règle qui se résume en une idée : vous comprenez, « chez ces gens-là », « PD » n’a pas la même portée…
Défendant sa prose fleurie, la manager en question a quant à elle plaidé « un simple abus de langage et que ce terme est entré dans le langage courant » sans avoir dans son esprit, c’est entendu, « aucun sens péjoratif ou homophobe« . Un argument qui fait écho à celui brandi par de nombreux journalistes sportifs lors du fameux « fiotte gate », quand un joueur du PSG avait employé ce terme pour qualifier son entraîneur. « On peut déplorer le manque de délicatesse de l’expression d’Aurier : c’est cependant son langage à lui, l’accusation d’homophobie relevant par ailleurs de la malhonnêteté intellectuelle – c’est hélas parfois ainsi que les gens s’expriment« , analysaient le soir-même trois journalistes dans le très respectable journal Libération, sous la question « que faut-il penser de ce que raconte Aurier ? » Ce qu’il FAUT en penser, défendront-ils avec d’autres confrères à longueur d’articles et de tweets, c’est que dans les vestiaires de « ces gens-là » ayant grandi en banlieue, règne un parler-vrai qu’il faut respecter sans mal y penser (d’ailleurs, Karim Benzema ne l’a-t-il pas expliqué lorsqu’il a affirmé que traiter un co-équipier de « tarlouze« , c’est purement « amical« ?). Comme si dire cela, ce n’était pas montrer du doigt…
Un autre domaine propice aux discriminations : les droits des femmes
On pourrait penser qu’il ne s’agit « que » d’une résurgence, regrettable mais récurrente, de l’homophobie ordinaire. Mais ce relativisme, consistant à dire que « chez ces gens-là, ce n’est pas pareil », touche un autre domaine propice aux discriminations : les droits des femmes. Dans l’affaire de la « mode islamique« vs la laïcité, les pourfendeurs de ce marketing religieux se le sont entendu dire, jusqu’à se faire traiter de « fachos ». Une attaque portée par les mêmes qui s’insurgent par ailleurs de publicités sexistes du type « Moulinex libère la femme ». Curieux, d’ailleurs, comme à chaque fois qu’elle prétend « libérer la femme », la publicité l’enferme un peu plus, dans sa cuisine, dans son érotisme (cf.les fameuses campagnes Yves Saint-Laurent), ou sous son voile. Dans les cas de Moulinex ou d’YSL, les mêmes rappelaient à la publicité son rôle sociétal, de propagation de valeurs, en exigeant qu’elle n’érige pas en modèle la femme domestique ni la femme sexy. Et ce, sans qu’on leur reproche de nier aux femmes la liberté de se dévêtir ou de cuisiner. Mais aujourd’hui, il en serait autrement pour la femme voilée. Faut vous dire, Monsieur, que chez « ces gens-là » on ne pense pas, Monsieur, on ne pense pas, on prie.
Au final, donc, une journée du voile aurait la même portée émancipatrice… qu’une journée de la jupe ! Et ceux qui disent cela croient sincèrement à la liberté – inaliénable, nous sommes d’accord – de toute personne à se vêtir ou à se dévêtir à sa guise, dans les limites consensuellement imposées par la société (qui sont, dans l’espace public en France, la nudité et la dissimulation du visage). Mais ce dont ils n’ont pas conscience, tout dévoués qu’ils sont à la défense des libertés individuelles, c’est qu’ils ont abandonné au passage ce qu’ils défendaient auparavant : l’universalité des droits de l’homme et de la femme.
« Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important »
C’est ainsi qu’ils se retrouvent également à défendre Starbucks quand le groupe américain choisit, dans l’un de ses établissements en Arabie saoudite, d’interdire provisoirement l’entrée aux femmes le temps qu’un mur soit érigé pour leur permettre de commander un latte décemment, c’est-à-dire loin du regard mâle. L’argument : non, elle ne sont pas interdites d’entrée dans l’absolu, c’est simplement le temps qu’on puisse les empêcher de côtoyer les hommes, ainsi que l’exige la charia. Comme si le respect des coutumes locales, dû quand on voyage sur place (par exemple, pour une pilote d’Air France, de couvrir ses cheveux en posant le pied en Iran) devait empêcher d’avoir une conviction sur le sujet (et donc, toujours pour une pilote d’Air France, de refuser d’effectuer la liaison Paris-Téhéran).
Cette liberté de contester ce qui se passe chez les autres, même si les discriminations qu’on dénonce sont intégrées par leurs « victimes », c’est ce qu’a voulu exprimer Laurence Rossignol en comparant l’acceptation par des femmes de leur voile de celle, jadis par les esclaves américains, de leurs fers. En l’occurrence, refuser le relativisme, c’est aussi dénoncer l’emploi qu’elle a fait à cette occasion du mot « nègre« , que l’on n’aurait pas accepté venant d’un autre camp ; une erreur qu’elle a reconnue. Mais sur le fond, le raisonnement reste valable : les coutumes des uns et des autres ne doivent pas faire vaciller les défenseurs des droits de l’Homme. D’ailleurs, aujourd’hui que, justement, certains des anciens Etats esclavagistes du sud des Etats-Unis réintroduisent dans leur législation des ségrégations – anti-LGBT cette fois – au nom du respect de la conviction religieuse individuelle, faut-il aussi l’accepter, sous prétexte de ne pas faire d’européo-centrisme ? Ce serait tenir le même raisonnement que celui de François Mitterrand quand il aurait affirmé au sujet du Rwanda : « Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important« . Une façon de penser qui rappelle une vérité toute simple : seuls les droits de l’homme et de la femme universalisent. C’est relativiser sur l’air du « chez ces gens-là » qui stigmatise.
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