L’avertissement de Jean-Jacques Urvoas sur la situation financière de nos tribunaux aura fait long feu, remplacé quasiment immédiatement dans les médias par les « Panama papers ». Pourtant, notre institution judiciaire est bel et bien en train d’agoniser et le ministre doit donc désormais transformer son vrai-faux coup de gueule en actes.
Les événements passent, trépassent, resurgissent et se diluent. Ainsi va aujourd’hui notre système médiatique avançant au rythme infernal d’Internet et des chaînes d’information en continu, triturant une nouvelle l’espace d’un instant, avant de la jeter sans gêne ni vergogne pour une autre plus fraîche, plus savoureuse et dont le délai de péremption ne sera guère plus long. La tonitruante interview de Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux, le 3 avril, dans le JDD, eut ainsi un écho court comme un dimanche de printemps. Puis elle disparut dans le fracas assourdissant des révélations panaméennes, suscitant d’autant moins de commentaires que plus aucun média ou politique ne voyait quel profit il pourrait bien tirer à gloser sur le grand cadavre à la renverse qu’est notre institution judiciaire. Le système médiatique broya donc dimanche soir les déclarations du ministre et les jeta sans barguigner dans la grande poubelle des informations périmées.
Le système médiatique broya dimanche soir les déclarations du ministre.
Les propos de Jean-Jacques Urvoas méritent pourtant un autre traitement. Passons vite sur le grotesque d’un ministre feignant tout à coup de découvrir la situation financière désespérante de nos tribunaux. L’ancien président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale n’a évidemment pas attendu de succéder à Christiane Taubira pour connaître l’état de misère de la justice. Les syndicats de magistrats, les présidents de cour d’appel le disent, le répètent depuis des lustres dans une indifférence politique générale. Non, derrière l’emphase de ses déclarations, Jean-Jacques Urvoas n’avait d’autre objectif que de mettre un peu de pression sur Bercy et Matignon à la veille des arbitrages budgétaires, dans l’espoir de glaner quelques subsides…
Pendant ce temps, la justice agonisait.
La théâtralité de la démarche du ministre rend le constat politique dévastateur. Comment le gouvernement socialiste, dans la continuité de ses prédécesseurs de droite, a-t-il à ce point pu abandonner ces juges ? Comment Christiane Taubira, si prompte aux interventions tempétueuses, a-t-elle pu rester muette devant le délabrement d’une institution au bord de la paralysie ? Un chiffre résume le désastre : le budget de la justice française se situe au 35e rang des 45 pays européens ! Les conséquences sont connues : enlisement des procédures, défauts d’expertises, jugements tardifs et mal rendus dans des locaux vétustes sur du matériel souvent obsolète. Il faut entendre des magistrats accablés raconter devoir aller eux-mêmes quérir stylos et papier avec leurs propres deniers ou encore être contraints de rédiger les arrêts sur leurs ordinateurs personnels. En plein état d’urgence, alors que toutes les forces sont mobilisées dans la lutte contre le terrorisme, la noirceur du tableau est accablante. D’autant plus que, pendant des mois, la classe politique tout entière s’est déchirée autour du projet, dérisoire quant à son efficacité, sur la déchéance de nationalité. Pendant ce temps, la justice agonisait.
Cette réalité ancienne dans laquelle est plongée l’institution judiciaire illustre aussi l’abandon progressif des fonctions régaliennes de l’Etat (sécurité, défense, justice). Aucune d’entre elles ne dispose aujourd’hui des moyens matériels, humains et financiers que nécessitent les missions essentielles qui leur sont dévolues. La colère de la police aux effectifs réduits, épuisés sous la charge, ou celle des gardiens de prison résonnent avec celle des magistrats. Elles soulignent les incohérences d’une politique qui, au nom d’une réduction des dépenses publiques, a négligé les outils les plus indispensables au fonctionnement de notre République.
Dans ce contexte, la décision improvisée du garde des Sceaux de mettre sur le tapis la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, autrement dit de couper le cordon entre l’exécutif et la justice, témoigne d’une autre forme de mépris pour cette institution. Ignoré jusque-là, ce projet qui aurait pu être un des marqueurs du quinquennat de François Hollande n’est plus qu’un pis-aller après l’échec de l’affaire sur la déchéance de nationalité. La réforme méritait, là encore, un autre débat que des agitations fiévreuses autour d’un simple jeu tactique.
Pour qu’il ne reste pas, comme tant d’autres, un ministre du verbe, Jean-Jacques Urvoas doit donc désormais transformer son vrai-faux coup de gueule en actes. Ce n’est pas une simple rallonge budgétaire, comme un cadeau à une corporation en colère, qu’il faut à la justice – ainsi qu’à la police et à l’armée -, mais des moyens à la hauteur d’une grande démocratie occidentale.
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