Depuis jeudi 31 mars, Nuit Debout occupe la place de la République. Derrière une impression de joli foutoir se trouvent en réalité des individus aux parcours politiques divers qui, par leur expérience, ont permis au mouvement de prendre de l’ampleur. Des petites mains qui organisent les désorganisés sans vouloir s’imposer.
A coup sûr, c’est une anecdote qui restera dans les mémoires. Comme celle qu’on se refile entre vieux de la vieille, entre anciens combattants qui se remémorent comment tout a débuté. Seul l’Histoire dira quelle destinée aura le mouvement Nuit Debout, mais déjà, on peut dater son acte fondateur. C’était le 23 février, à Paris, dans un bistrot en face de la Bourse du travail, autour de l’équipe du journal Fakir.
« Tout le mois de janvier et février, nous avons fait une trentaine d’avant-premières en France, explique à Marianne Johanna, membre de l’équipe et du film « Merci Patron ! ». Ca marchait bien, les gens sortaient de la salle avec une énergie positive. On sentait bien qu’ils voulaient que quelque chose se passe. A Paris, le 23 février, nous avons organisé une réunion. Finalement, c’est parti en assemblée générale. L’idée s’est imposée de prolonger la manifestation du 31 mars et d’occuper un lieu ». Décréter, c’est bien, faire c’est mieux. A la sortie de la réunion publique, ils se retrouvent donc dans le troquet d’en face, le Côte d’Azur, « des étudiants, des syndicalistes, des associatifs et des personnes motivées. On se présente tout de suite comme un simple groupe logistique, rien de plus. On fait confiance aux manifestants pour que le 31 mars, les débats politiques aient lieu. Nous, on veut juste donner les moyens d’avoir des discussions politiques. On se limite à réfléchir à la nuit du 31 mars et on verra bien ce que les gens en feront », se souvient-elle.
Avec cette envie de faire de la politique autrement, de sortir des sentiers battus, qui les réunit. Le mouvement contre la loi El Khomri qui agite les rues depuis plusieurs semaines donne de l’espoir à tous ceux qui attendaient un réveil citoyen. « Nous étions tous très différents par nos expériences ou nos engagements politique, si ce n’est notre conviction commune contre la loi Travail et notre envie de faire« , se rappelle Loïc, membre de la commission accueil et sérénité, l’équivalent d’un service d’ordre en plus souriant. Syndiqué à la CGT spectacle, il travaille à la compagnie Jolie Môme et a fait ses classes, entre autres, à l’occasion des différents mouvements des intermittents. Une expérience qu’il va mettre au service du collectif lorsque le 14 mars, lors d’une nouvelle réunion à la Bourse du travail, dans une salle plus petite, les différentes commissions se dessinent. « Accueil », « cantine », « infirmerie », « matériel », « dans chaque commission, il y avait des gens expérimentés », raconte Loïc. Ou presque… Johanna de Fakir se retrouve ainsi à gérer le matériel pour le concert alors qu’elle n’avait jamais fait ça avant. « J’étais un peu affolée », reconnaît-elle.
La Nuit Debout devait s’intituler « On ne rentre pas chez nous »
Heureusement, ils peuvent aussi compter sur des vieux briscards comme Jean-Baptiste Eyraud, l’un des fondateurs de l’association Droit au Logement (DAL), qui suggère la place de la République pour cette première nuit d’occupation d’abord intitulée « On ne rentre pas chez nous« . « On avait une petite expérience de la lutte de rue. En 2013, on avait gagné au tribunal administratif le droit d’occuper pacifiquement la place… Je leur ai expliqué comment faire », sourit-il. A tel point que sur place, on se refile cette blague : « Pour avoir le droit de s’installer ici, il faut faire deux demandes. L’une à la préfecture, l’autre au DAL… ».
L’activiste venu de l’extrême-gauche explique la procédure, les plus motivés prennent la suite à l’image de Leïla Chaibi, ancienne de l’Appel et la pioche et de Jeudi noir, actuellement militante au Parti de gauche. C’est elle, notamment, qui discute avec la préfecture. « Au début, on se repose bien sûr sur des gens qui ont de l’expérience, pour le service d’ordre qui a beaucoup bossé, le lien avec la préfecture aussi ou les infrastructures. Le premier dépôt en préfecture pour l’occupation a été fait par Attac, Solidaire et le DAL », confirme Johanna. Mais les militants qui s’affairent ne cherchent pas à prendre le contrôle du mouvement comme le raconte Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac : « Il y avait bien des militants politiques, mais aucun d’eux n’en référaient à son organisation ».
Cette synergie des bonnes volontés va porter ses fruits. Le 31 au soir, à la fin de la manifestation contre la loi El Khomri, près de 4 000 personnes se pressent autour de la statue de la République. Leila « hallucine ». Sur place, une assemblée générale se constitue. Arthur, l’un des premiers modérateurs, « avec trois autres potes », anime les débats. « Il faut avoir un certain savoir-faire, être suffisamment souple pour que la parole s’exprime mais aussi savoir calmer les gens pour le bon déroulement des échanges », détaille-t-il.
Lui, c’est en Espagne qu’il a « découvert la politique avec Podemos et leurs assemblées générales de quartiers. Ils ont mis en place un vrai modèle participatif, démocratique. Il y a une vraie énergie et force qui s’en dégage ». Depuis jeudi, selon lui, il y aurait cette même énergie place de la République. Surtout, alors que le mouvement français des Indignés était hostile à tout ce qui ressemble de prêt ou de loin à un militant politique ou syndical – empêchant de fait toute idée de « convergence des luttes » – là, rien de tel. « Sur la place, il y avait par exemple des militants de la CGT qui tractaient à côté d’une assemblée générale. Il y a même des gens de la Confédération paysanne qui sont intervenus au micro. Ca n’a pas posé de problème », s’enthousiasme-t-il.
« Le mouvement n’est pas allergique aux partis mais refuse toute récupération partisane. N’importe qui peut venir à titre individuel. C’est déjà le cas pour Olivier Besancenot, Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon, mais pas question de venir avec les drapeaux et grandes banderoles. Comme l’idée qu’il y ait un leader, ce n’est vraiment pas pertinent », estime Arthur. Julien Bayou, porte-parole d’EELV qui a participé à la création des collectifs Génération précaire et de Jeudi Noir, partage cette même analyse : « Il n’y a pas de haine pour les partis politiques mais un rejet bien présent. Nous sommes dans un moment de récupération citoyenne de la parole politique. Personne ne veut qu’elle soit de nouveau confisquée ».
Depuis jeudi, si ces piliers du mouvement Nuit debout s’activent toujours en coulisses, la passation est en train de s’opérer. « On a besoin de se reposer. Mais surtout, il faut qu’il y ait un roulement des rôles. Ceux qui ont de l’expérience forment ceux qui veulent s’investir et passent la main. C’est plus sain d’ailleurs. C’est la force et la particularité de ce mouvement. Les personnes qui se sentent concernées souhaitent aussi s’impliquer. Chacun vient avec ses espérances et ses compétences et les transmet aux autres », conclut Loïc. La huitième Nuit Debout se profile…
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