Bernard Cassen : Oui et non. Oui, dans la mesure où ils s’insurgent contre l’ordre existant et où ils pensent « qu’un autre monde est possible » sans nécessairement utiliser ce mot d’ordre d’Attac, lui-même emprunté au Monde diplomatique. Non, en ce qui concerne les modes respectifs d’émergence et d’action.
Les occupants de la place de la République et d’autres villes françaises – dont beaucoup sont de jeunes « primo-manifestants » – s’inspirent visiblement des Indignés de la Puerta del sol de Madrid en mai 2011. Comme eux, ils sont rétifs à l’égard de toute structure (parti, syndicat, voire association formalisée) et s’auto-organisent dans un espace physique limité érigé en une sorte de modèle réduit de Cité idéale. Dans cet espace, la parole est totalement libérée et celle d’un lycéen a le même statut que celle d’un directeur de recherche du CNRS.
Attac, en revanche, s’est d’emblée voulue une association dotée de statuts, d’une charte constitutive (qui n’a pas vieilli depuis sa rédaction en 1998) et d’un objectif : combattre l’hégémonie de la finance, notamment par la taxe Tobin. Il est significatif que l’association se soit dotée d’un conseil scientifique et qu’elle se soit auto-définie comme un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action.
« Que va devenir cette énergie ? »
Selon vous, le refus d’une organisation hiérarchisée et d’un magistère intellectuel peut-il s’avérer plus efficace que les méthodes traditionnelles de mobilisation ?
Les deux formes sont parfaitement compatibles dès lors qu’elles se respectent l’une l’autre. La Nuit Debout, en partie par ce que c’est du neuf, a une forte résonance médiatique et une capacité d’attraction pour des jeunes qui font leurs premières armes militantes, même si ce mot ne fait pas partie de leur lexique. Mais que se passe-t-il une fois sorti de la place de la République ? Que devient cette énergie qui finira par « se mordre la queue » si le relais n’est pas pris à l’extérieur, et sous d’autres modalités, par des forces organisées ? Il leur faut cependant bannir toute velléité de récupération et fonctionner sous la forme des « convergences parallèles« , pour reprendre la célèbre formule d’Aldo Moro.
« Je ne vois pas d’espace disponible pour la création d’un Podemos français »
Quels sont les critères qui permettraient d’évaluer le succès de ce mouvement, qui se veut l’écho de Podemos et des Indignados ?
Le premier critère est celui de la durée. La Nuit Debout survivra-t-elle aux vacances de Pâques ? Le gouvernement table beaucoup sur le calendrier… Mais le critère principal est celui de la convergence (ou pas) entre les formes de lutte pour obtenir des résultats. Je ne vois pas actuellement d’espace disponible pour la création d’un Podemos français, tant, à gauche, le champ politique et social est déjà encombré et surdéterminé par la préparation de l’élection présidentielle de 2017. Il faut donc faire avec l’existant en comptant sur une « fertilisation croisée » entre les différentes formes de mobilisation. Cela n’est pas gagné d’avance, très loin s’en faut.
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