« Le voile n’est pas plus aliénant que la minijupe », écrit ce 6 avril la sénatrice EELV Esther Benbassa dans une tribune publiée par « Libération », entraînant de vives réactions sur les réseaux sociaux. Dans un article publié le 22 janvier (suite à l’affaire de Cologne), « Marianne » analysait déjà cette dérive néoféministe qui consiste à tout renvoyer dos-à-dos, en larguant au passage la cause des femmes. La sénatrice vient d’en apporter l’illustration flagrante.
Comme Gerald Ford dont on disait qu’il n’arrivait pas à marcher tout en mâchant un chewing-gum (sous peine de tomber), les leaders du néoféminisme pensent qu’on ne peut pas poser certains problèmes dans leur complexité, tout en luttant, par ailleurs, contre le racisme. La simple exposition des faits leur est insupportable, les questions douloureuses qu’ils entraînent, et les défis qu’ils impliquent, sont forcément odieux ou « nauséabonds ». Et qu’importe si, dans leur grande majorité, les Européens, et en particulier les Français, ne font pas les amalgames que dénoncent en permanence ces procureurs du débat public : elles préfèrent s’en tenir à leurs lignes de fracture simplistes, et soigner le mal par le déni.
Que les jeunes femmes qui témoignent au quotidien de leurs difficultés à marcher dans certains quartiers vêtues d’une jupe courte ou d’un pantalon moulant se le tiennent pour dit : leur souffrance est raciste. Qu’elles passent leur chemin, et de préférence en talons plats. « Le problème de ces néoféministes est qu’elles ont un prisme différentialiste et culturaliste, explique l’essayiste Djemila Benhabib. Elles définissent la victime uniquement en fonction d’une origine : à savoir les musulmans, forcément victimes de la violence et du racisme de l’Occident. » (…) Et l’écrivain de fustiger « la trahison » de ces féministes-là, « incapables de prendre acte de la réalité ». « Elles ont largué le droit des femmes au passage, c’est cela qui est impardonnable. »
Antiracisme détourné, culture de l’excuse exaltée… A ces deux dévoyeurs du combat féministe s’ajoute un troisième, tout aussi légitime dans son intention première : la lutte contre l’injonction capitaliste à être sexy. Nous ne nous appesantirons pas ici sur cette question – pourtant passionnante : bien sûr qu’il y a quelque chose du diktat dans l’étalage omniprésent en quatre par trois d’une norme féminine hypersexualisée. Mais que cette dénonciation ait conduit certaines à renvoyer dos à dos niqab et minijupe – en citant opportunément Bourdieu (décidément accommodé à toutes les sauces en ce moment) qui définissait la jupe comme « un enclos symbolique » –, nous n’y souscrivons pas. A lire certaines, même, l’injonction capitaliste – qui fait, précisons-le, l’objet de peu de dépôts de plainte dans les commissariats – serait pire que l’injonction religieuse, laquelle a visiblement la bonne idée d’être soluble dans le relativisme culturel.
Après tout, direz-vous, ces néoféministes représentent-elles vraiment quelque chose ? Un coup d’œil au navire amiral de la presse féminine suffit à se convaincre que cette pensée a soit infusé (vision pessimiste), soit figé les plumes dans la peur du rappel à l’ordre (vision « optimiste »). Dans son éditorial daté du 20 février 2015, la directrice de la rédaction du magazine Elle, Françoise-Marie Santucci, s’interrogeait sur la démarche de l’actrice iranienne exilée en France, Golshifteh Farahani, posant nue en une d’une revue chic et intello, pour rendre grâce à Paris, « seul endroit de la planète où les femmes ne se sentent pas coupables ». Le message ne convainquait guère Mme Santucci, laquelle pointait avec une perplexité tendre et amusée son caractère anachronique, voire son manque de pertinence. Car, enfin, le dévoilement comme proclamation de la liberté, voilà qui n’est pas dans les it-concepts émancipateurs des années 2010, selon le magazine. Au contraire même, interrogeait la patronne de Elle : « Et si le combat de nos aînées pour le droit à se dévêtir avait, comme écho contemporain, celui de se cacher ? »
Vous avez bien lu. Cette phrase, nichée dans l’édito du plus grand magazine féminin – et jadis féministe – de France, démontre à quel point ce dernier marche à côté de ses stilettos – ouuuh le sexisme ! – quand il est question de ces questions-là. Sujet sensible, car politiquement suspect.
(…)
>>> Retrouvez l’intégralité de cet article et l’interview d’Elisabeth Badinter qui le précédait dans « Marianne », au format numérique.
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