La maire de Paris avait appelée les Parisiens à débattre dans 128 lieux différents le 2 avril au soir. Mais son refus de laisser le collectif « Nuit Debout » organiser un forum permanent place de la République a montré les limites de cette liberté de paroles bien maitrisées.
Il y a des comédie (ou des drames) dont le coup de théâtre semble annoncé à l’avance. Du coup, les spectateurs semblent presque déçus lorsqu’il arrive. Ce n’est pas que le propos soit inintéressant ou que les acteurs manquent de talents, mais tout simplement que le scénario n’est pas à la hauteur de l’histoire… C’est exactement ce qui est arrivé samedi soir à Anne Hidalgo, dont l’initiative « La Nuit des Débats », avec 128 arènes de discussion disséminées dans les quartiers de Paris, paraissait bienvenue. Dans un pays frappé par les attentats qui proroge l’état d’urgence de trimestre en trimestre, où la représentation nationale débat des semaines de la déchéance de nationalité pour ne rien faire, où l’on ne s’enquiert qu’à peine du sort des réfugiés syriens, où les réseaux sociaux débordent de pétitions anti-loi Khomri, il y a bien pour les citoyens, matières à échanger, discuter, polémiquer…
Anne Hidalgo avait donc convoqué les Parisiens à la discussion, n’hésitant pas à en rajouter un peu dans l’emphase, ce qui n’est pas sa coutume. A l’entendre, les citoyens, en échangeant un soir renoueraient rien moins qu’avec avec l’histoire révolutionnaire de la capitale, soit la Commune de Paris, les Trois Glorieuses, le Front populaires, et Mai 68 réunis…
Rassurons-nous, la Nuit des Débats fut bien sage (et intéressante). La Maire de Paris participa à plusieurs d’entre eux, dont celui organisé par Le Crieur et Médiapart. Face à Edwy Plenel, l’échange sur la crise du politique fut bien sage et convenu, chacun connaissant les positions de l’autre. Pas d’éclat de voix, mais un entrelacs de constat de divergences et déclarations d’admiration réciproque. On n’était pas dans la connivence, mais tout proche… Les voutes (sonorisées et filmées) de l’église Saint-Eustache ne furent troublée que par la soudaine irruption d’activistes de Nuit Debout.
Anne Hidalgo devait s’y attendre : face à la volonté de milliers de manifestants contre la loi Travail de transformer la place de la république en forum permanent façon «Indignados » espagnols, elle avait (sur les ondes de France Inter le 1er avril) refusé sèchement « la privatisation » de l‘espace public. Singulière conception du débat citoyen qui en réserve les lieux aux personnes comme il faut.
Une irruption aussi violente et bénéfique qu’un courant d’air glancé dans une pièce enfumée
Dès lors il fallait s’attendre à ce que des détachements de manifestants viennent contester l’édile à sa plus prochaine apparition. Ce fut le cas à 21h20 dans l’église Saint-Eustache lorsque une vingtaine de manifestants interrompirent le débat sur la crise des institutions politiques (on remarquera par ailleurs que ce thème occupait une place éminente dans la Nuit des Débats) afin d’obtenir le droit de rester nuits et jours sur la place de la République jusqu’au 9 avril. Ce que Anne Hidalgo, elle-même extrêmement critique à l’égard de loi Travail, refusa à nouveau, sans même se donner la peine de trouver une explication.
Même peu intelligible, voire maladroite, l’irruption des Nuits Débout, exigeant, puis prenant le micro, interpellant la Maire, mais aussi Edwy Plenel (lui-même favorable à l’initiative de Nuit debout), paraissait aussi violente et bénéfique qu’un courant d’air glacé dans une pièce trop enfumée. Ils nous rappelaient que dehors, non seulement il pleut, mais que le monde réel souffre et que si l’on refuse de s’en accommoder, il faut se bouger et pas seulement parler… Et leur simple présence apparut ce soir là comme une autre figure du théâtre : la mise en abyme, lorsque les jeux de miroirs dévoilent un autre visage des acteurs. C’est alors, en général, que la vraie pièce commence…
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