EuropaCity : la prouesse inavouable

L’enquête publique sur « le plus important projet d’aménagement culturel et commercial en Europe », EuropaCity a été lancée en France la semaine dernière, dans la quasi indifférence. Symbole de l’impuissance publique, cette ville artificielle promet déjà le meilleur du capitalisme récréatif et consommatoire.

C’est un silence aussi assourdissant que bizarre. L’enquête publique sur « le plus important projet d’aménagement culturel et commercial en Europe » a été lancée en France la semaine dernière, mais personne ne le revendique. EuropaCity. Une ville artificielle au nord de Paris. « Un formidable pari sur l’avenir. » Qui en parle, en ces temps de morosité ? Cette promesse de record s’énonce dans la discrétion. Ou plutôt dans la crainte. Le promoteur d’EuropaCity, Immochan, filiale immobilière d’Auchan, redoute un Notre-Dames-des-Landes francilien.

Et les élus (de droite comme de gauche) qui y ont cédé ne sont pas fiers. Ce symbole privé de leur impuissance publique représente l’inverse de ce qu’ils racontent à longueur d’année sur la culture, l’environnement, l’agriculture… La preuve grand format qu’ils ne font pas ce qu’ils disent. Qu’ils se contentent de se soumettre aux forces qui vont. Celles du capitalisme récréatif et consommatoire, et de son programme pour changer la vie : faire du passé table rase pour inventer cet homme nouveau « à la recherche d’un acte d’achat intégrant une dimension de plaisir ». EuropaCity : symbole privé de l’impuissance publique

Pour présenter ce petit Dubaï qui doit éclore sur les dernières terres agricoles du Val-d’Oise, ses concepteurs alignent les « équipements ». En vrac : 230 000 m2 de commerces, 2 700 chambres d’hôtel, 20 000 m2 de restaurants, 20 000 m2 de parc aquatique « de type resort » avec vague de surf, 30 000 m2 de « snowpark » avec piste de ski pour « freestyleurs », 50 000 m2 de lieux culturels, dont l’inévitable « parc d’aventures ». Ils annoncent leurs « objectifs » avec autant de précision : 30 millions de visites par an, dont 6 millions de touristes : la fréquentation de Paris, le double d’Eurodisney, trois fois le Louvre. Mais EuropaCity aura mieux que la Joconde : satisfaire le désir de « faire foule ensemble » dans « le foisonnement et la fluidité́ d’expériences du monde virtuel »

Désir jugé assez irrésistible pour justifier l’absence d’études approfondies sur la future clientèle. « Le projet doit être engagé sans attendre, même imparfait. Ses imperfections sont les interstices dans lesquels les parties prenantes pourront intervenir pour corriger et s’approprier le projet. » D’abord foncer. Ce qui risque de n’être qu’une étape nouvelle du cannibalisme de la grande distribution a emballé les politiques. Il suffit de leur parler de créations d’emplois. Ils ne s’interrogent pas sur ceux qui vont être détruits alentour. Ils ont tous cédé, de Sarkozy à Valls en passant par Huchon et Fabius, qui a salué « un projet majeur qui structurera notre territoire ». Ils se mettent en quatre, apportant infrastructures (une gare spéciale du futur Grand Paris Express) et caution administrative.

Il suffit d’entendre le pathétique service après vente du préfet de région pour mesurer la chute de ces grands commis de l’Etat qui naguère « aménageaient le territoire ». Auchan (qui embauche d’anciens préfets) a remplacé la Datar. Ils parlent tous d’un « projet d’intérêt national ». Mais il n’est pas plus le leur que celui de la nation.

Place au « commerce récréatif », au « tourisme de shopping » Sans évoquer le mépris linguistique de son nom, EuropaCity (présenté comme une « living city ») atteste que nos élus ne croient même plus au modeste pari de Houellebecq, qui voyait dans son patrimoine historique et touristique le dernier atout vendable de la France. C’est le puissant groupe chinois Dalian Wanda – nouveau propriétaire de l’usine à images américaine Legendary Pictures (Jurassic World, Godzilla) – qui « apportera son expertise et son savoir-faire, en termes de loisirs, d’hôtellerie et de divertissement ». Place au « commerce récréatif ». Au « tourisme de shopping ». Sous le bruit des 1 500 avions de Roissy survolant chaque jour cette zone interdite à l’habitat ? Pas grave, le futur « lieu de vie », fermé, sera sûrement « musicalisé » comme tous les supermarchés…

Mais, surtout, les élus savent que ce projet est contraire à tous leurs engagements de la COP21, tenue au Bourget, à 2 km du site d’EuropaCity… Les 12 000 emplois de cette ville sans logements vont aggraver le désastre des transports urbains. Cette bétonnisation climatisée et ses 60 millions de déplacements annuels infirment toutes leurs promesses sur le bilan carbone. Et, surtout, ils renient leurs belles paroles sur l’agriculture.

Les députés ont voté à l’unanimité l’obligation pour les cantines scolaires de servir au moins 40 % de produits locaux d’ici à 2020, pour « relocaliser les filières alimentaires » et développer les « circuits courts ». Or l’Ile-de-France ne fournit plus que 10 % de sa consommation agricole. Et EuropaCity va détruire certaines de ses dernières terres agricoles, dont l’Autorité environnementale a souligné la « très grande valeur agronomique » et qui devraient être sanctuarisées, comme le recommande le schéma directeur de la région Ile-de-France.

Le collectif Non à EuropaCity propose ainsi de créer un centre de formation à l’agriculture bio pour offrir un vrai métier d’avenir à une partie de la jeunesse locale aujourd’hui sans grandes perspectives. Ce que devrait faire Stéphane Le Foll s’il croyait à sa « loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation » et à son « programme ambition bio » d’« agro-écologie nationale » promettant de développer le bio local au lieu de l’importer. Ce que défendent sur place les élus écologistes, conduits par Mounir Satouri, président du groupe Europe Ecologie-Les Verts au conseil régional.

Un combat solitaire, guère relayé par les sommités vertes accaparées par leurs considérables réflexions stratégiques. Qui a entendu Cécile Duflot ou Jean-Vincent Placé nous parler d’EuropaCity ?

 

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