La droite prise au piège de sa propre primaire ?

Ils sont désormais dix candidats déclarés à une primaire qui n’aura lieu que dans sept mois. Une débauche d’ambitions qui fait grincer des dents dans les rangs du parti, où l’on s’inquiète que la quantité ne mine la qualité.

« Moi aussi, je vais aller déposer ma candidature à la primaire ce soir. Vous allez voir, j’ai plein de choses intéressantes à dire… » Cet élu très proche de Nicolas Sarkozy ironise, mais il ne cache pas sa lassitude. La veille, mardi 29 mars, Geoffroy Didier a annoncé sa candidature à la primaire qui désignera en novembre le candidat Les Républicains à la présidentielle. Le nom du conseiller régional d’Ile-de-France vient s’inscrire sur une liste qui comporte déjà dix candidats déclarés, sans compter Nicolas Sarkozy, qui attend (im)patiemment l’été pour se lancer dans la course.

Chez Les Républicains, ce fleurissement printanier d’ambitions est devenu un sujet de plaisanterie. « On est une famille politique qui a énormément de talents », s’amuse le filloniste Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR. Mais chez d’autres cadres, la grimace a remplacé le sourire. « Ce n’est pas un concours de beauté », tempête régulièrement Henri Guaino, opposé depuis le début au principe d’une primaire. « On est ridicules vis-à-vis de notre électorat et de nos militants, franchement, avec toutes ces candidatures », s’emporte Rachida Dati ce vendredi sur Radio Classique. François Fillon, candidat déclaré depuis près d’un an, s’en agace lui aussi sur RTL : « Je veux bien que tous les responsables politiques de la droite et du centre aient vocation à se présenter à la primaire. Ils ne se rendent pas compte en le faisant que d’une certaine façon, ils contribuent à abaisser le débat public.« 

Un écrémage, mais pas avant septembre

C’est la crainte qui parcourt les rangs du parti : que la multiplication des candidats décrédibilise ce processus censé désigner le champion de la droite pour la présidentielle en novembre. Certes, un écrémage aura lieu en septembre, lorsque les candidatures seront officiellement validées. « La primaire, elle commencera quand on connaîtra les vrais candidats, c’est-à-dire quand ce cirque aura cessé », fait valoir François Fillon. C’est pour cette raison que Thierry Solère, qui préside le comité d’organisation du scrutin, préfère parler de « candidats à la candidature ». « Nous ne voulons sélectionner que des présidentiables », explique le député des Hauts-de-Seine à Marianne. « Si cette primaire avait eu lieu en 1995, les candidats auraient été Balladur et Chirac. »

Et pour ne pas se retrouver avec 25 prétendants sur la ligne de départ, Thierry Solère compte sur les conditions fixées pour se présenter. « Nous avons durci les règles d’accès par rapport à la primaire de la gauche en 2011 », rappelle-t-il. Un candidat devra présenter les parrainages de 250 élus, dont 20 parlementaires, issus d’au moins 30 départements. Cette semaine, le bureau politique du parti a même précisé les règles, en décidant que ces parrains devraient signer une charte les engageant à respecter « les valeurs républicaines de la droite et du centre ». Une mesure qui vise clairement Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate déclarée depuis début mars : l’ancienne ministre envisageait de recourir à des parlementaires de gauche pour obtenir ses soutiens…

La primaire socialiste est dans les têtes : « En faisant un tout petit score, on peut devenir Premier ministre. »

Se déclarer candidat, une tribune médiatique à peu de frais

Il n’empêche : d’ici au 9 septembre, date butoir pour déposer sa candidature, tout un chacun peut prétendre concourir et s’offrir ainsi une tribune médiatique à peu de frais. Une manière de se placer pour l’avenir… « C’est un effet pervers de la primaire de la gauche. En faisant un tout petit score, on peut devenir Premier ministre », confie un député LR dans une allusion à Manuel Valls.

Se déclarer pour exister, voilà le sens de la candidature d’une Nadine Morano, qui arpente régulièrement les couloirs de l’Assemblée nationale dans l’espoir d’arracher de précieux parrainages, mais que personne ne voit décrocher le sésame. Ou encore de celle de Geoffroy Didier, qui s’expliquerait en réalité par une frustration. « Geoffroy a le sentiment de ne pas avoir sa juste place, alors il s’offre un coup de projecteur », décrypte un cadre qui le connaît bien. « Il est angoissé quand il voit monter Guillaume Larrivé et Guillaume Peltier », deux ultra-sarkozystes qui ont le même âge que lui (39 ans). L’un est député depuis 2012, l’autre quasiment assuré d’être investi pour les législatives de 2017, et tous deux ont été bombardés porte-parole du parti par Sarkozy en janvier. D’où la crainte de Didier, qui a longtemps fait l’éloge de l’ancien président sur les plateaux télé, de rester sur la touche.

Reste que les grosses écuries ne voient pas forcément d’un mauvais œil cette prolifération de candidats. « Ça sert Nicolas », assure un proche de l’ancien président, qui estime que son champion ne peut que prendre de la hauteur en restant dans son costume de patron du parti tandis que les candidats déclarés font campagne. « C’est la rançon du succès », juge de son côté Gilles Boyer, le conseiller politique d’Alain Juppé. « On a voulu cette primaire, on ne va pas se plaindre qu’il y ait des candidats. » D’autant que cette procédure inédite à droite est régulièrement vantée comme un incontestable progrès démocratique ! Même si Gilles Boyer affirme lui aussi que « ce qui va compter, c’est l’offre à la fin ». Reste à traverser sept mois pendant lesquels le bal des egos battra son plein. C’est aussi ça, l’apprentissage de la démocratie.

 

 

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply