Magistrature : cette autre réforme de la Constitution qui va capoter

Le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas assure ce jeudi 31 mars que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), promesse du candidat Hollande, est toujours sur les rails. Pourtant, la veille, le président annonçait sa décision de « clore le débat constitutionnel ». Cherchez l’erreur…

Visiblement, quatre mois d’interminables débats conclus par un spectaculaire fiasco ne l’ont pas vacciné. Jean-Jacques Urvoas n’en démord pas : il veut une réforme de la Constitution. Pas pour y introduire la déchéance de nationalité, annoncée par François Hollande après les attentats du 13 novembre et enterrée sans cérémonie par le même, mercredi 30 mars. Non, ce que le garde des Sceaux veut inscrire dans la loi fondamentale, c’est la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), censée couper le cordon ombilical entre le gouvernement et les procureurs. Une promesse de campagne du candidat Hollande, engagée au début du quinquennat mais bloquée depuis trois ans en raison d’un désaccord entre députés et sénateurs.

« Il faut réformer la Constitution » pour « garantir que les juges puissent agir sans influence politique », plaide Jean-Jacques Urvoas ce jeudi sur France Inter. Le successeur de Christiane Taubira appelle donc de ses vœux la tenue d’un Congrès. « Je pense que je vais y réussir », affirme-t-il. Problème : cette sortie du ministre de la Justice semble contredire de plein fouet l’allocution prononcée mercredi par François Hollande, dans laquelle le chef de l’Etat abandonnait la déchéance de nationalité, mais semblait aussi condamner définitivement la réforme du CSM. « Je constate aussi que l’opposition est hostile à toute révision constitutionnelle, qu’elle porte sur l’état d’urgence ou même l’indépendance de la magistrature », a déploré François Hollande, qui a par conséquent « décidé de clore le débat constitutionnel ». Un débat que Jean-Jacques Urvoas choisit donc de rouvrir dès le lendemain… « Ça ne va pas clarifier les choses », soupire un conseiller élyséen en privé. « Les gens vont se dire : ‘c’est clos ou c’est pas clos ?' »

Une promesse de campagne du candidat Hollande

En réalité, Jean-Jacques Urvoas pouvait difficilement dire autre chose. Dès mardi prochain, le garde des Sceaux sera en effet en première ligne pour défendre cette réforme devant l’Assemblée nationale. Surtout, c’est lui qui a ressorti du placard ce texte censé concrétiser l’engagement 53 du candidat Hollande. En 2012, celui-ci avait promis de renforcer l’indépendance des magistrats du parquet en faisant en sorte qu’ils soient nommés sur « avis conforme » du CSM, et non plus sur « avis simple ». Autrement dit, le gouvernement n’aurait plus le dernier mot sur les nominations des procureurs.

Dans la pratique, cela fait plusieurs années que les ministres de la Justice ne se risquent plus à contredire les avis du CSM. Mais en théorie, le garde des Sceaux peut toujours passer outre et nommer un procureur comme bon lui semble. C’est pourquoi une telle réforme, qui doit renforcer l’indépendance des parquetiers, est attendue de longue date par le monde judiciaire.

Le problème, c’est que comme la déchéance de nationalité, cette réforme nécessite une révision de la Constitution, c’est à dire l’accord des deux assemblées avant un vote des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Et c’est ce qui donne du fil à retordre à l’exécutif depuis le début du quinquennat. Votée par l’Assemblée nationale, la réforme s’est brisée sur le mur du Sénat, qui l’a vidée d’une grande partie de ses dispositions en 2013. La version initiale prévoyait en effet de modifier sensiblement la composition du CSM pour que les magistrats y soient à nouveau majoritaires et de renforcer les pouvoirs de l’instance. Ce que les sénateurs ont rejeté, en conservant tout de même l’avis conforme du CSM pour les nominations au parquet.

A un an de la présidentielle, pas question pour la droite de faire le moindre cadeau à Hollande.

C’est ce texte a minima que le garde des Sceaux souhaite désormais faire adopter. Avec cet atout dans sa manche : la majorité sénatoriale de droite ne pourra plus y faire obstacle, puisque la haute assemblée s’est déjà prononcée. Pour ouvrir la route du Congrès, il reste donc à faire adopter le texte exactement dans les mêmes termes par l’Assemblée.

En revanche, c’est loin d’être gagné à Versailles, où il faut réunir les voix des trois cinquièmes des parlementaires pour que la révision soit adoptée. Or, les socialistes sont parfaitement conscients que l’opposition ne jouera pas le jeu. « Regardez attentivement ce qui se passera : la droite cherchera à faire un pas de côté pour que ce texte ne soit pas adopté », a déploré par avance le patron des députés PS, Bruno Le Roux, ce jeudi sur iTélé. Au cabinet de Jean-Jacques Urvoas, on estime néanmoins que « l’indépendance de la justice mérite un débat. Si jamais le texte n’est pas voté, les Français sauront pourquoi… » Sous-entendu : ce sera la faute de la droite, qui n’a effectivement pas l’intention de faire de cadeau à François Hollande, à un an de la présidentielle. Reste qu’une fois encore, le président se sera cassé les dents sur ses ambitions constitutionnelles. Et surtout, sur une promesse de campagne.

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