Mort de Imre Kertész, le dernier juif de Budapest

L’écrivain hongrois Imre Kertész, prix Nobel de littérature en 2002, vient de mourir à l’âge de 86 ans. Un écrivain hors norme qui n’a été reconnu que fort tardivement.

Imre Kertesz vient de nous quitter. Prix Nobel de littérature en 2002, cet écrivain hors norme n’a été reconnu que fort tardivement. Il venait d’un monde anéanti celui des juifs de Budapest, qui, avec ceux de Lemberg et de Prague, formaient l’élite intellectuelle de l’empire austro-hongrois. S’il était né demi-siècle plus tôt, Imre Kertesz eût sans doute écrit, comme Joseph Roth et Franz Kafka, dans cette langue allemande que les écrivains juifs de l’empire aimaient porter à la perfection.

Mais Imre Kertesz a eu le malheur de naître en 1929 et donc d’avoir 15 ans, en 1944, quand Adolf Eichmann veillait en personne sur la déportation des juifs de Budapest. Les voies ferrées étaient bombardées, les trains manquaient, qu’à cela ne tienne, les nazis organisèrent des marches de la mort et les juifs hongrois firent à pied l’essentiel du chemin qui les menait à Auschwitz. Rares furent les rescapés de ce temps où, disait, Kertesz  on lui « refusait le statut d’être humain ». De retour à Budapest en 1945, Imre Kertesz est le seul survivant de sa famille. Il devient journaliste, mais se heurte bientôt au contrôle total du parti communiste sur la presse.

Son bilinguisme parfait le sauve : il traduit les écrivains allemands en magyar. Il écrit aussi de petites pièces légères et des comédies musicales. Lorsqu’il passe au roman, dans les années 1960, avec Etre sans destin , début d’une trilogie inspirée de son expérience des camps de la mort, il ne se fait guère d’illusion sur ses possibilités d’expression dans la Hongrie communiste. Il attendra 1975 pour bénéficier du très relatif libéralisme de Janos Kadar. Imre Kertesz peut alors publier, mais dans l’indifférence générale, la presse officielle ignorant délibérément son œuvre. Il ne se plaint pas de sa situation marginal, l’essentiel étant pour lui de poursuivre son travail formel.

Car non content d’évoquer une dimension de l’histoire contemporaine que le régime préfère enfouir sous une logomachie supposée antifasciste, Imre Kertesz est un écrivain novateur. Ce qu’il a vécu dépasse les plus noires des fictions de Kafka, si bien que l’on pourrait le définir comme un réaliste kafkaïen. Le succès ne vient qu’à la toute fin du régime, au milieu des années 1980. C’est seulement à cette époque que les œuvres de Kertesz franchissent le rideau de fer. Il n’avait pas joué les dissidents en tentant de publier à l’étranger. Son succès passe par l’Allemagne, avant de gagner la France grâce à un éditeur alors marginal, Actes Sud, qui en quelques années nous fit découvrir toutes les facettes d’Imre Kertesz.

En 1995, la publication en français de Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, est un véritable choc. Le rythme du récit s’appuie sur la prière récurrente de la liturgie juive, le Kaddish, qui n’est pas la prière des morts, mais la sanctification du créateur de toute vie. Imre Kertesz écrit le Kaddish de la non création, celui de ce vide qui suit la catastrophe, dont il ne disait pas qu’il était un survivant, n’ayant jamais été certain d’avoir vraiment survécu. Il écrivait, en vestige de cette Mittleuropa, qui avait déjà disparu à sa naissance, en 1929. Imre Kertesh était le dernier témoin de cet espace qui n’a pas fini de hanter la littérature mondiale.

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