Oblitérant les valeurs qu’il véhicule sur le statut des femmes dans la société, certaines marques réduisent le voile féminin à un marché. Ce qui fait bondir jusqu’au sein même du milieu de la mode, de Pierre Bergé qui appelle à faire primer la liberté sur « le fric » à Agnès b., qui rappelle que le voile n’est pas « un vêtement anodin ».
Le fric, c’est pas chic. Réagissant à la polémique soulevée par ces marques de vêtements qui ont lancé des lignes “islamiques” à destination des femmes voilées, Pierre Bergé a lancé cet appel aux créateurs de mode : « Renoncez au fric, ayez des convictions ! Vous êtes là pour embellir les femmes« .
« Les créateurs de mode n’ont rien à faire sur le terrain de la mode islamique. Je suis scandalisé. Moi qui a été près de 40 ans au côté de Yves Saint Laurent, j’ai toujours cru qu’un créateur de mode était là pour embellir les femmes, pour leur donner la liberté, pas pour être le complice de cette dictature qui impose cette chose abominable qui fait qu’on cache les femmes, qu’on leur fait vivre une vie dissimulée« , a tonné ce mercredi sur Europe 1 celui qui a été le compagnon d’YSL.
« Dans la vie, il faut se ranger du côté de la liberté. Il faut au contraire apprendre aux femmes à se dévêtir, à se révolter, a ajouté le président de la fondation Bergé/Saint Laurent. On n’est pas dans un pays qui a inventé les droits de l’Homme pour faire ces choses-là. C’est absolument inadmissible. Ce n’est pas tolérable« , a-t-il souligné. Pour lui, « ces créateurs qui participent à l’asservissement de la femme, devraient se poser des questions (…) D’une certaine manière, ils sont complices, tout cela pour faire du fric. Les convictions doivent passer avant l’argent ».
« On ne doit pas banaliser un vêtement qui, quoi qu’on en pense, n’est pas anodin pour l’image de la femme« , a abondé la créatrice Agnès b. dans Le Parisien. « La mode est laïque et universelle, porteuse de liberté et d’espoir. (…) Parler de mode et de religion me paraît discriminant« , a également réagi auprès de l’AFP Jean-Charles de Castelbajac. Lui-même a pourtant dessiné des vêtements liturgiques catholiques mais il s’agissait alors de robes pour hommes… en l’occurrence, le pape Jean-Paul II et ses évêques qu’il avait vêtus, à l’occasion des Journées mondiales de la Jeunesse de Paris en 1997, d’un arc-en-ciel qu’on aurait aisément pu confondre avec un « rainbow flag » (le drapeau LGBT). Un message certainement plus universaliste que le « burkini »…
Le débat a enflammé les esprits depuis que la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a qualifié mercredi cette stratégie de marques telles qu’Uniqlo, H&M ou encore Dolce&Gabbana d' »irresponsables”, tirant la même conclusion que Pierre Bergé : « Lorsque des marques investissent ce marché (…) parce qu’il est lucratif, un marché pour les pays d’Europe, pas un marché pour les pays du Golfe (…), elles se mettent en retrait de leur responsabilité sociale, et d’un certain point de vue font la promotion de l’enfermement du corps des femmes”.
De son côté Hélène Agesilas, cocréatrice de la marque Fringadine — qui vend des vêtements longs dans la ligne de la « modest fashion » (« mode pudique ») —, estime que « la France accuse un retard sur la mode islamique« . Et de citer une étude selon laquelle le marché mondial de la mode islamique, évalué par un cabinet à 230 milliards de dollars en 2014, pourrait atteindre plus de 320 milliards en 2020. Selon le blogueur musulman « orthodoxe » Fateh Kimouche, spécialiste de l’économie islamique, ces articles proposés par des marques généralistes « répondent tout simplement à un marché, y’a pas de gros barbu derrière. Il y a des milliers d’emplois à la clé, il faudrait peut-être faire preuve de pragmatisme« . Les choses sont dites : le « pragmatisme » et le « marché » viennent bien faire les poches des valeurs et de la liberté…
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