Michel Onfray : "Nous ferions bien de prendre au sérieux les Frères Musulmans au lieu de les diaboliser"

Le philosophe revient sur le devant de la scène avec deux essais, « le Miroir aux alouettes », son autobiographie politique, et « Penser l’islam », sur le défi du fondamentalisme. Conversation sans concession. Extrait.

Marianne : Concernant l’islamisme, vous dénoncez le caractère superficiel du mot d’ordre rebattu « pas d’amalgame ». Est-il pour autant fécond de chercher dans le Coran les origines du fanatisme ? N’est-ce pas passer à côté de la nature éminemment politique de cette contre-révolution, amorcée par les Frères musulmans au milieu des années 20 ?

Michel Onfray : Il n’y a pas de civilisation sans le grand texte religieux qui la rend possible. Notre époque ne sait plus lire, elle feuillette ; elle ne sait plus penser, elle invective ; elle ne fait plus d’histoire, elle buzze ; elle n’est plus capable d’inscrire une réflexion dans les longues durées chères à Fernand Braudel parce que le temps médiatique, c’est de l’argent et qu’elle n’a pas le temps.

Qui lit encore ? Une poignée, comme à l’époque égyptienne quand l’activité était réservée au scribe. Qui a lu le Coran, plume à la main ? Qui a lu les hadith du Prophète ? Qui a lu au moins une biographie de Mahomet avant d’avoir un avis sur l’islam ? L’athée que je suis prend au sérieux les livres sur lesquels l’Histoire se constitue.

Les Frères musulmans, dont le seul nom sent le soufre en Occident, sont des lecteurs avisés, des connaisseurs des textes et de l’Histoire que nous ferions bien de prendre au sérieux au lieu de les diaboliser pour éviter d’entendre leur discours. Qu’ils fassent une lecture du Coran alors que d’autres en proposent une différente mérite qu’on s’y arrête pour la penser au lieu d’invectiver.

« Ceux qui parlent de liberté d’expression pour la célébrer dans les mots la détestent dans les faits »

Avec Alain Finkielkraut, vous êtes l’une des rares voix à interroger le lien qui existe entre l’islamisme et l’islam comme tel. Lien qui ne signifie pas, bien évidemment, équivalence… Pourquoi ce questionnement est-il si difficile, si rare, si scabreux ?

M.O. : Ce questionnement est extrêmement simple au contraire, mais politiquement incorrect. Le catéchisme gaucho-libéral qui domine largement le monde médiatique et qui constitue le logiciel politique depuis le renoncement de la gauche socialiste au socialisme en 1983 impose une vulgate. Toute pensée élaborée en dehors de cette vulgate est criminalisée, insultée. C’est donc la libre expression de la pensée libre qui est problématique dans un monde qui soumet l’intelligence avec les moyens et les méthodes des régimes autoritaires dont Orwell a proposé l’impeccable démontage. Ceux qui parlent de liberté d’expression pour la célébrer dans les mots la détestent dans les faits. Même chose avec la démocratie, la tolérance, le débat, la République. La liberté est la chose du monde la moins partagée. La France est le pays du centralisme monarchique au Grand Siècle, du centralisme jacobin pendant la Révolution française, du centralisme technocratique, bureaucratique et administratif en nos temps postmodernes. En France, une poignée de gens disposent des leviers de commande dans chaque domaine. En ce qui concerne la pensée, les tenants d’un ordre idéologique qui se fissure voient leur pouvoir leur échapper – d’où le fait qu’ils sont aux abois et se comportent en bêtes blessées chargeant brutalement tous azimuts…

(…)

 

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