Face à cette violence aveugle des djihadistes qui viennent meurtrir les capitales européennes, il nous faut absolument éviter les pièges tendus à notre intelligence de l’événement. De croire d’abord que le fondamentalisme salafiste n’a rien à voir avec les Merah ou les Abdeslam. D’affirmer également, dans un discours chargé de postcolonialisme que le djihadisme n’est qu’un sous-produit de la crise métaphysique de l’Occident.
On vit une époque pas formidable. Un temps où la désinformation prend parfois de vitesse l’information. Un temps où les arguties les plus improbables sont collées sur le visage du vraisemblable afin d’étouffer toute colère et toute indignation après les actes les plus odieux. Bien sûr – et nous n’avons jamais manqué de le rappeler ici –, les ennemis les plus incapables des musulmans en France et hors de l’Hexagone sont les cavaliers de l’apocalypse djihadiste qui ont porté la mort à Bruxelles après avoir frappé en Syrie, en Côte-d’Ivoire et en Turquie. Bien sûr, des centaines de millions de croyants sont transis d’effroi par le terrorisme islamiste. Mais il ne suffit pas d’arguer du nombre pour masquer l’action dévastatrice des minorités agissantes.
Depuis le 13 novembre 2015, 20 pays ont été touchés à travers 25 attentats par le terrorisme islamisteIl est vain de mesurer le degré de connaissance théologique des assassins de Bruxelles. Notons, au passage, que ceux qui se prêtent à ce type d’exercice, comme l’a relevé récemment cruellement Gilles Kepel, à l’occasion de son livre Terreur dans l’Hexagone (1), ne sont pas précisément familiers avec l’arabe littéraire. A entendre ces experts en expertologie, on finirait (presque) par se demander si les terroristes ne sont pas des bouddhistes roumains, des jaïnistes péruviens ou des adventistes finnois, enrôlés par erreur par les sergents recruteurs de Daech. S’ils ne sont pas laïcards intégristes puisque, à entendre ceux qui parent, aujourd’hui, leur ami imaginaire de toutes les vertus, ce sont eux qui sont à l’origine de tous les maux du monde. Sans rire. Mais nos comiques croupiers ne font pas dans le détail. Ne craignant pas, par exemple, d’affirmer, tel le sociologue Raphaël Liogier de lancer : « Nous sommes face à un terrorisme de plus en plus sporadique et non organisé. » Sporadique ? Depuis le 13 novembre 2015, 20 pays ont été touchés à travers 25 attentats par le terrorisme islamiste. Libération du 22 mars livrait une macabre comptabilité : pour la seule année 2015, plus de 2 000 personnes ont succombé aux exactions des terroristes islamistes. Quant à savoir s’ils sont « non organisés », les récentes révélations de l’enquête montrent qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un flash mob qui aurait mal tourné.
Deux pièges discursifs sont tendus à notre intelligence de l’événement. Le premier est ce discours savant qui cherche à nous persuader qu’il y aurait une étanchéité totale entre le salafiste et le destin fracassé de djihadistes tels que Mohamed Merah et Salah Abdeslam. Sous-entendu : la régression traditionaliste préserverait de l’extrême violence. Sur Bibliobs, Liogier évoque les néofondamentalistes salafistes en France et déclare : « Les radicaux de ce type posent certes des difficultés en prônant des valeurs contraires à celles que nous aimons, mais il faut aussi bien voir qu’ils sont complètement dépolitisés. » Ouf, nous voilà rassurés. Ceux qui veulent faire régresser les femmes au statut d’auxiliaire domestique sont de grands benêts inoffensifs.
Cette école souhaite noyer le djihadisme et la séduction vénéneuse qu’il exerce dans le pédiluve nihilisteCe chercheur dont on ne discute pas malheureusement la sincérité est le porte-voix d’une école qui, depuis trente ans, (car oui, la guerre d’Algérie menée par le FIS s’inscrit dans cette géopolitique du mal), voudrait nous convaincre que le djihadisme n’est pas un produit idéologique, cultuel, culturel en soi mais un sous-produit de la crise métaphysique de l’Occident. L’islamologue Olivier Roy a, depuis longtemps, donné à cette vulgate ses lettres de faiblesse, sa formulation irrécusable. Cette école souhaite noyer le djihadisme et la séduction vénéneuse qu’il exerce dans le pédiluve nihiliste. D’où l’efflorescence de discours oiseux sur le fait qu’un niveau élevé de désespoir pourrait expliquer le passage à l’acte terroriste. La bombe comme expression naturelle de la lutte des classes ! Il faut oser. Cette école ne voit sans doute pas toute la charge postcolonialiste contenue dans un tel discours. Comme si l’imaginaire de supériorité se poursuivait au prix d’une simple inversion des signes. Comme si la culture de l’excuse devait s’incarner en assignation à résidence permanente.
Le second piège est bien d’enlever toute spécificité islamique au djihadisme, présenté comme un pis-aller idéologique, un engagement militant faute de pire. Voilà pourquoi le sociologue Olivier Roy peut souligner qu’« ils choisissent l’islam car il n’y a que ça sur le marché de la révolte radicale ». Précisant que pour adhérer à l’ultragauche « il faut avoir lu » (sic), ce que ne font pas ces jeunes. La destructivité radicale du djihadisme est subliminalement gommée par sa mise en équivalence avec un projet révolutionnaire aussi jusqu’au-boutiste soit-il, mais qui comporte une dose d’idéalisme. Pour Roy, ils ne font que se servir de l’islamisme comme d’un instrument pour exprimer le grand refus de nos sociétés développées. Comme si les terroristes n’étaient que les adeptes – certes un peu turbulents – d’une contre-culture.
(1) Terreur dans l’Hexagone, Gallimard, 352 p.
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