Dur, dur, la communication de crise. Devant un parterre de patrons internationaux réunis à l’Elysée ce 22 mars, la président de la République a tenté de lier l’actualité dramatique de Bruxelles et les appels à investir en France. Attention à la glissade !
Ce matin, ce devait être « work in progress » à l’Elysée. Le président de la République y réunissait le « Conseil stratégique de l’attractivité »… Appellation pompeuse pour une sorte de colloque annuel lors duquel l’Etat français convie des grands patrons internationaux à faire savoir à l’exécutif quels sont les remèdes à la crise de l’économie française. C’est dans cette assemblée de donneurs d’ordres venus de 26 pays différents, rassemblant aussi bien le patron (français) du groupe (belge) Solvay, Jean-Pierre Clamadieu, ou Akbar Al Baker, président de Qatar Airways, ou celui de Samsung Young Sohn, ou encore Xuedong Diong, président du fonds d’investissement de l’Etat chinois (CIC). C’est au cours d’un de ces aréopages, qu’ont été suggérées par le passé quelques dispositifs comme le travail du dimanche, à l’initiative du patron de Kingfisher, propriétaire britannique de Castorama, comme condition de la poursuite de son investissement en France. Le roi des pêcheurs fut exaucé, comme on le sait, par la loi Macron…
Les attentats de Bruxelles ont troublé les travaux. Le Premier ministre qui devait ouvrir la session à 8h30 s’excusa et laissa son siège à Emmanuel Macron. La président de la République apparut néanmoins pour clore les débats. Plutôt que de s’exprimer deux fois (une fois sur le perron de l’Elysée sur le terrorisme, et l’autre dans la salle des fêtes du palais sur l’attractivité), François Hollande tenta la synthèse entre l’actualité en Belgique, et la compétitivité du site France dans un seul discours. Il faut avoir fait Normale socialiste supérieure pour tenter un coup pareil au risque d’une entorse grave des arguments. Le résultat est étonnant, comme on peut l’observer en partie sur le site de l’Elysée.
Le Président de la République démarra comme il se doit, en tenant à « exprimer ma solidarité, mon amitié à l’égard du peuple belge et des autorités belges, qui sont dans l’épreuve, et dire aux familles qui sont concernées toutes les pensées qui nous animent, pour que leur peine soit partagée. » On pourrait ergoter qu’il aurait pu affirmer « la solidarité des Français » vis à vis des Belges, mais ce sont des détails qu’on ne remarque plus tellement nous sommes lobotomisés par la dérive monarchique de nos présidents… Ensuite viennent des passages tout aussi convenus sur la nécessaire et longue « guerre contre le terrorisme », la nécessité du « rassemblement », voire de « l’unité » (de l’Europe, du Monde, de la Nation ; suivez mon regard)… Et aussi « des moyens nécessaires », de « la vigilance nécessaire » (la nécessité fait loi…).
Puis vient la cheville (ce qui permet de relier deux parties sans grands rapports d’un discours), en direction des 26 prestigieux invités :
« Il n’y aura pas de développement économique, il n’y aura pas d’investissements durables, s’il n’y a pas, au préalable, la sécurité. Et l’élément de sécurité, c’est aussi un élément que l’attractivité suppose. Et nous devons donc vous assurer que tous les moyens sont pris ici, en France, mais plus largement en Europe, et je m’exprime au nom de la France, pour que vous puissiez assurer à vos personnels, faire en sorte que vous puissiez aussi investir en toute lucidité en France, mais surtout en toute sécurité. »
Dormez tranquilles, bonne gens, la police et l’armée françaises veillent sur vos usines, bureaux ou labo… Puis le chef de l’Etat, chef des Armées, poursuit dans une partie surréaliste, car écrite visiblement bien avant les attentats, et non rectifiée (et que le visiteur du site de l’Elysée n’a pour l’heure pas la possibilité d’écouter ou de lire), qui vante la France, ses infrastructures, l’action du gouvernement, dans une avalanche de statistiques : le nombre de projets d’investissements étrangers en France augmente de « près de 1000 entre 2014 et 2015 », générant « plus de 36000 emplois ». La Chine a investi 3,3 milliards d’euros « plus qu’en Allemagne ou aux Etats-Unis ». Rendez vous compte ! Puis il s’emballe sur les « infrastructures » (c’était le thème de la matinée…) gage de compétitivité : « 8500 kilomètres de voies navigables, un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique ». Et bientôt , en 2023, « un train express entre Paris et Roissy Charles De Gaulle » ! Et aussi dans quelques années « le canal Seine-Nord-Europe».
Les exemples se succèdent, mais le coeur n’y est pas, la voix faiblit, le débit se fait heurté. Lorsque François Hollande révèle à ses invités qu’il compte « faire participer des investisseurs étrangers à 40 projets d’infrastructures », sans doute comprend-il qu’il s’est égaré en voulant faire les poches de ses convives (il y a un déjeuner prévu) alors même qu’on ramasse les morts et les blessés à Bruxelles…
Bien vite, l’orateur « conclut », en revenant à l’actualité, en soutenant « la volonté de mener une guerre intense contre le terrorisme » doit s’allier au « choix de l’avenir », car « investir » serait soutenir « la marche vers le progrès », « que les terroristes veulent nous faire abandonner. » Lorsque la synthèse vire au bougli-boulga, il est temps d’arrêter le synthétiseur.
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