Patrick Roegiers est un écrivain et homme de théâtre belge, auteur de plusieurs ouvrages sur la Belgique, qui vit en France depuis 34 ans. Il réagit à chaud aux attentats perpétrés ce 22 mars au matin à Bruxelles.
MARIANNE – Pourquoi Bruxelles est-elle devenue la plaque tournante du terrorisme islamiste en Europe ?
Patrick Roegiers : La déliquescence de l’Etat en Belgique est l’une des causes principales. On a beaucoup glosé quand, en 2011, le pays est resté 541 jours sans gouvernement. Certains esprits malins ont même dit à l’époque que c’était une preuve de génie puisque l’administration et les institutions avaient continué de fonctionner malgré la vacance du pouvoir. Cette crise politique montrait en réalité la faiblesse absolue de l’Etat, avec un roi qui n’a pas de pouvoir et des premiers ministres qui se succèdent au gré d’alliances politiques de circonstance.
C’est dans ce terreau démocratique extrêmement fragile que le terrorisme s’est enkysté. Ce n’est pas un hasard si ces types – je ne les nomme jamais par leur nom parce qu’ils se mettent, du fait de leurs actes, hors de la société – ont choisi certains quartiers de Bruxelles comme bases arrières. C’est une ville ouverte, accueillante, au cœur de l’Europe où, paradoxalement, ils risquaient le moins d’être surveillés et repérés.
Mais il ne faut pas se tromper : ce n’est pas la capitale de la Flandre ou de la Belgique qui est aujourd’hui visée, c’est l’Europe en son cœur. Les Belges, contrairement aux Français, considèrent qu’ils n’ont pas d’histoire parce que leur pays est jeune, il a moins de 200 ans. Leur histoire, c’est la construction européenne. Bruxelles est devenue la métonymie de l’Europe. Et c’est pour cela qu’elle est la cible des djihadistes. C’était aussi le cas quand la France a été frappée. Mais la France ne l’a pas vu, n’a pas voulu le voir : elle a pensé, comme souvent, qu’elle était la seule concernée. Et que la responsabilité première en incombait à la Belgique.
Mais les attentats de Paris ont été préparés et planifiés pendant des mois en Belgique…
C’est vrai. Et le laxisme des autorités locales, qui ont laissé surgir et suinter le djihadisme sur leur sol, est évident. On est face à une menace inédite, qui articule deux sphères très éloignées : un terreau familial et amical, concentré sur quelques rues de Molenbeek ou d’ailleurs, et une organisation hyper-internationale qui pilote ces cellules à distance. Mais au lieu de diaboliser en permanence Molenbeek, dans une sorte de vaine expiation, la France serait plus avisée d’être aux côtés de la Belgique et d’en finir avec ce paternalisme de proximité qu’elle a longtemps manifesté à l’égard de sa voisine.
La France est beaucoup trop autocentrée, et les déclarations du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, m’ont indigné. Bien sûr, les Belges sont très culpabilisés, mais dans l’histoire récente de la Belgique, c’est, je le répète, la déliquescence de l’Etat qui a favorisé l’installation terroriste. La Belgique est un Etat qui n’existe plus.
Si elle est visée, c’est aussi en raison de sa situation de carrefour, face à la Grande-Bretagne et à côté des Pays-Bas et de l’Allemagne. Le pays est donc considéré comme une base de lancement extraordinaire vis-à-vis de la France.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments